Principalement associée à la fonction de sélection des bons projets, la gestion de portefeuille de projets est un processus hautement stratégique, pouvant être complexe. Qu’en est-il de cette pratique dans des environnements dynamiques? C’est le sujet d’une étude qualitative réalisée par un gestionnaire de projets aguerri, Yvan Petit, de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM dont nous présentons ici les grandes lignes.
La gestion de portefeuille de projets
Par définition, la gestion de portefeuille de projets est un ensemble de processus et de pratiques dont le but est de faire les « bons projets », ceux en lien avec la vision, la mission et les objectifs stratégiques de l’entreprise, de façon à en maximiser la valeur.
L’objectif visé, avoir un plan équilibré et « exécutable » des projets de l’entreprise sur un horizon de temps déterminé. Pour y arriver, cette gestion implique les éléments suivants :
- Alignement du portefeuille sur la stratégie organisationnelle
- Allocation optimale des ressources financières et humaines
- Mesure de la performance des éléments du portefeuille
- Gestion des risques stratégiques
Les standards des bonnes pratiques de gestion de portefeuille de projets sont bien établis et documentés, avec méthodes et outils à l’appui (voir les références). En général, ces standards mettent l’accent sur la sélection et la priorisation des projets afin d’assurer un portefeuille de projets équilibré (risque, complexité et allocation des ressources), aligné avec la stratégie corporative et orienté vers la maximisation des bénéfices de l’entreprise.
Dans ce processus, bien des gestionnaires éprouvent de la difficulté à identifier et définir les bons paramètres ou critères pour la sélection des projets. L’autre problème fréquemment rencontré, c’est le trop grand nombre de projets pour les capacités de l’entreprise.
L’incertitude et son impact sur le portefeuille de projets
Dans la littérature, on fait peu allusion aux perturbations de l’environnement pouvant avoir un impact sur le portefeuille de projets. Mais on sait que ces perturbations peuvent même conduire l’entreprise à un changement de stratégies et à un réalignement du portefeuille. Et qu’advient-il des portefeuilles de projets approuvés et en cours? Ces aspects n’ont pas encore fait l’objet de recherche pour établir de nouveaux standards ou pratiques.
Et qu’en est-il de la gestion de portefeuille de projets dans des environnements changeants? Comment gère-t-on l’incertitude qui affecte les portefeuilles de projets dans ces environnements dynamiques? C’est à cette question qu’a voulu répondre Yvan Petit*, un gestionnaire de projets d’expérience, dans une recherche pour l’obtention de son doctorat en administration et qui a donné lieu à un ouvrage publié par le Project Management Institute (PMI).
Selon l’auteur, les environnements dynamiques comportent des défis additionnels, provenant tant de l’interne que de l’externe, qui ont un impact sur la gestion du portefeuille de projets tels que : objectifs changeants, nouveaux projets à inclure, difficulté de planifier en détail et besoin de le faire en mode continu, piètre qualité de l’information, réallocation constante des ressources. D’où l’importance, entre autres, de surveiller et de contrôler les sources d’incertitude pouvant affecter le portefeuille de projets.
L’ambition de Yvan Petit avec cette étude n’était pas d’arriver à une réponse claire et définitive à ces questions. Cependant, le fait d’avoir une meilleure compréhension des mécanismes mis en place par les entreprises pour gérer leurs portefeuilles de projets alors qu’elles vivent dans un contexte d’incertitude et d’identifier des pistes d’amélioration aux meilleures pratiques en ce domaine, lui sont apparus comme une belle avancée.
Méthodologie de la recherche
Cette étude de nature qualitative s’est faite à partir d’entrevues réalisées auprès de deux entreprises : une multinationale en télécommunications et une institution financière d’envergure nationale. Toutes les deux ont un processus de gestion de portefeuille de projets bien rodé et un haut degré de maturité en gestion de projets. Elles œuvrent dans des environnements dynamiques et vivent des niveaux élevés d’incertitude. Les documents afférents à la gestion de quatre portefeuilles (deux de 25 et deux de 50 projets) ont été soumis à une analyse rétrospective, en complément des entrevues.
Yvan Petit formule ainsi l’hypothèse principale de son étude : « L’incertitude générée par un environnement instable doit être gérée pour mitiger les impacts sur les portefeuilles de projets et, ultimement, sur la stratégie organisationnelle de l’entreprise. » À noter que l’auteur privilégie dans son approche la notion d’incertitude à son avis plus globale que celle de risque.
Au cœur de sa grille d’analyse, Petit utilise le concept de « capacité dynamique ». Selon la théorie organisationnelle,
« La capacité dynamique d’une entreprise, c’est son habileté à identifier (sense), à saisir (seize) et à s’adapter (reconfiguring /transforming) pour exploiter les ressources internes et externes et faire face aux changements de son environnement. » (Teece, 2009)
En clair, c’est l’habileté de la firme à réagir adéquatement et au bon moment, à déployer des mécanismes d’adaptation ou de transformation lui permettant de conserver son avantage concurrentiel (voir fig. 1).
Au cours de cette recherche, il est apparu que les termes « transforming » et « reconfiguring » correspondaient à deux concepts distincts. Le terme « reconfigurer » signifie que le gestionnaire utilise des processus et structures déjà en place dans l’entreprise pour réallouer les ressources humaines et financières dans le portefeuille de projets. Quant au terme « transformer », il réfère à l’introduction de nouveaux processus, structures et outils en soutien aux activités de gestion du portefeuille de projets.
Principaux résultats
La gestion de l’incertitude
Dans la littérature, le risque est défini comme un événement incertain et que, s’il se produit, il aura un impact positif ou négatif sur un ou plusieurs projets. Or, cette étude nous révèle que les gestionnaires de portefeuille de projets, dans les organisations dont l’environnement est très dynamique, ne gèrent pas des risques mais plutôt des sources d’incertitude.
Si la gestion du risque demeure appropriée pour la majorité des portefeuilles de projets des entreprises, il en va tout autrement dans les contextes de changement rapide de l’environnement. Dans les environnements dynamiques, les gestionnaires ont besoin d’aller au-delà de la gestion de risque traditionnelle, adoptant des rôles et des techniques moins orientées vers la planification et davantage vers la flexibilité et l’apprentissage.
La gestion de l’incertitude va plus loin que la gestion du risque. Plutôt que d’établir de longues listes de risques potentiels ou d’événements incertains, les gestionnaires de portefeuille de projets identifient un petit nombre de sources d’incertitude jugées très importantes, vont mettre en place différents processus et structures pour les surveiller (sensing) et tenter d’en évaluer l’impact (voir fig. 2).
La gestion de l’allocation des ressources humaines
Cette recherche met en évidence l’importance de revoir constamment l’allocation des ressources humaines en fonction de l’offre et de la demande, de façon à atteindre l’équilibre. De l’avis de l’auteur, on parle peu dans la littérature de ce processus si important en gestion de portefeuille de projets.
La gestion de nouveaux projets
Comme on l’a vu précédemment, les standards dans la gestion de portefeuilles de projets mettent surtout l’accent sur la sélection et priorisation des projets et l’équilibrage en fonction des objectifs stratégiques. Une fois que le portefeuille de projets est approuvé, qu’arrive-t-il lorsqu’il y a une demande pour un nouveau projet? Les résultats de l’étude démontrent l’importance d’évaluer les conséquences de l’addition d’un projet au portefeuille en cours et de faire une analyse d’impact complète sur tous les projets qu’il contient.
En conclusion, la gestion de portefeuille de projets va bien au-delà de la sélection des projets. C’est une gestion complexe et hautement stratégique qui oblige le gestionnaire à mettre beaucoup d’énergie pour maintenir une allocation optimale des ressources et s’assurer que les efforts mis à la réalisation des projets ne seront pas gâchés par des événements fortuits. C’est une activité qui n’a rien de statique. Son environnement changeant l’amène à une constante surveillance et à trouver les bons mécanismes pour adapter ou transformer les opérations, créer de nouvelles structures, introduire de nouveaux processus et modèles d’affaires.
Certes, les résultats de cette étude lèvent partiellement le voile sur la gestion dans des environnements dynamiques, à haut niveau d’incertitude. Mais il reste beaucoup à apprendre sur la façon dont les gestionnaires s’y prennent pour composer avec l’incertitude, naviguer dans la turbulence. Et qui sait, après la gestion du risque, la gestion de l’incertitude et son impact sur le portefeuille de projets pourrait bien devenir un nouveau standard, dans un futur rapproché.
Mentionnons qu’Yvan Petit animera l’atelier « La gestion de portefeuilles : mise à jour des meilleures pratiques » dans le cadre des activités du Réseau Innovation IDP, le 29 novembre prochain à Montréal.
____________________
*Yvan Petit, M. ing, MBA, Ph.D., est professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal et responsable des programmes de deuxième cycle en gestion de projet. Il a été récemment nommé vice-doyen aux affaires internationales de l’ESG. Auparavant, il a œuvré pendant plus de 20 ans chez Ericsson à titre de gestionnaire de projets.
Il est très actif dans les comités de normalisation en gestion de projets et a participé entre autres à la mise à jour du « Standard for Portfolio Management » du Project Management Institute (PMI). Il détient un baccalauréat en génie physique, une maîtrise en génie électrique, un MBA et un doctorat en administration.
Références
- Project Portfolios in Dynamic Environments : Organizing for Uncertainty
Ouvrage > | Ouvrage scientifique > | Résumé > - The Standard for Portfolio Management, 4th edition, Project Management Institute (PMI)
- Cooper, R.G., Edgett, S.J., Kleinschmidt, E.J., 2001. Portfolio Management for New Products, Second Edition, Perseus, Cambridge (MA)
- Teece, D.J., 2009. Dynamic Capabilities & Strategic Management – Organizing for Innovation and Growth, Oxford University Press, New York
Comments are closed.