Par Bernard Lebrun, conseiller sénior en développement de produits à l’IDP

Gabriel Boutin
En octobre 2021, le groupe Kollide, formé d’ingénieurs et de designers québécois, remportait le concours Helmet Challenge de la National Football League (NFL). Leur exploit : la conception d’un casque de football qui améliore la protection des joueurs contre les impacts à la tête et diminue les risques de commotion cérébrale. Gabriel Boutin, designer de produits, est l’instigateur de ce groupe de partenaires. Nous avons voulu connaitre le parcours de ce jeune entrepreneur avant l’aventure NFL. Une histoire de persévérance et de ténacité.
Diplôme de design industriel en poche et après avoir travaillé quelques années à la conception de produits comme consultant et au sein d’entreprises manufacturières telles que Maax, Produits Neptune, Stéris et Louis Garneau Sports, Gabriel Boutin fonde sa propre entreprise en 2007, qui deviendra quelques années plus tard Kupol. En tant que spécialiste en design industriel et en impression 3D, il découvre rapidement qu’il préfère concevoir ses propres projets novateurs plutôt que d’accomplir divers mandats de consultation.
Cette réflexion l’amène à se percevoir davantage comme un inventeur, un fournisseur de solutions, celui qui crée une offre et une valeur tangible à travers un produit. « Là où je suis à l’aise, c’est dans mon poste de créateur. D’assumer tous les rôles, entrepreneur, développement de marché, inventeur, ce n’est pas évident. »
Le projet Kupol : améliorer le niveau de protection des casques de vélo
En 2016, bien avant le concours de la NFL, Gabriel Boutin se donne un nouveau défi professionnel : améliorer le niveau de protection des casques de vélo tout en limitant les impacts sur d’autres critères de satisfaction des usagers tels poids, ventilation, confort, style, etc. Ayant été consultant durant plusieurs années pour Louis Garneau Sports, il constate que la technologie de mousse polystyrène injectée dans les casques de vélo stagne depuis plusieurs années et n’offre pas un niveau de protection en progression, contrairement au style.
« Étrangement, dans cette catégorie de produits, tu ne peux te différencier par le degré de protection de ton casque. Il n’y a pas de gradation entre les bons et les très bons casques. Ça passe ou ça ne passe pas! Les normes sont cependant en train d’évoluer… »
Et pour que son casque de vélo remplisse ses promesses de performance quant à la protection, il devint rapidement évident pour le designer qu’il doit comporter deux innovations : intégrer des structures 3D déformables pour absorber le maximum d’énergie à l’impact et le fabriquer par impression 3D.
« La fabrication des casques par impression 3D représentait une façon d’élever le niveau de protection tout en mettant l’accent sur le style du casque, qui est le principal critère d’achat. Actuellement, il n’y a aucun casque de vélo fabriqué en Amérique du Nord. J’aimais cette vision de fabrication locale de produits en juste-à-temps, des produits au design innovateur. »
De son propre aveu, il lui aura fallu beaucoup d’agilité avec différents logiciels pour arriver à ses fins lors de la conception, car les outils CAD ne sont pas nécessairement adaptés aux différents designs de structure envisagés et à l’impression 3D. En cours de route, il dépose une demande de brevet qui porte sur une méthode de dessin et de fabrication d’un casque grâce à des structures tridimensionnelles conformées, dites surfaces minimales périodiques.
À cette époque, la technologie de l’impression 3D est en pleine évolution tant pour les matériaux que pour les techniques d’impression. Curieux et très intéressé, Gabriel expérimente différentes approches, design de structures, matériaux et nouveaux procédés. Mais il est très souvent déçu des résultats obtenus. « Ce n’était pas assez concluant à mon goût. J’étais toujours dans l’attente d’une amélioration quelconque. Un peu comme si c’était hors de mon contrôle jusqu’à un certain point. J’étais optimiste. Disons que maintenant, je suis plus réaliste. »
Après avoir attiré avec succès un investissement privé, il se tourne vers le sociofinancement sur la plateforme Kickstarter pour la commercialisation de son casque. Cette tentative échoue. Par chance, il conserve l’appui de ses investisseurs ce qui lui permet de poursuivre son projet.
Dans son concept, la fabrication des casques par impression 3D demeure un des enjeux importants étroitement lié à la capacité d’investir. Mais après l’échec Kickstarter, Gabriel modifie sa stratégie et tente alors de trouver un partenaire fabricant.
« J’ai trouvé un manufacturier chinois qui fabriquait déjà des casques de vélo. Pendant près de six mois, j’ai tenté de m’arrimer mais le ‘fit’ n’était pas là. Étant seul, signer une entente avec un partenaire chinois, ce n’était pas évident. Finalement, ça ne s’est pas fait. »
Puis, à l’été 2019, il apprend l’existence du concours Helmet Challenge de la NFL. Il est heureux de cette nouvelle qui lui offre un nouvel angle de recherche et une opportunité de marché. Mais en même temps, cette perspective l’amène à reconsidérer l’ensemble des efforts investis dans son projet Kupol au cours des quatre dernières années.
« Peut-être que je vivais à cette époque un peu de découragement et certainement qu’il y avait aussi un peu d’acharnement. En tout cas, je n’étais pas prêt à tout laisser tomber. Tant et aussi longtemps que j’étais supporté financièrement par mes associés, je n’avais pas de raison d’abandonner. »
Le groupe Kollide et l’aventure NFL
Le concours de la NFL constitue tout un défi d’ingénierie et de design. En contrepartie, l’organisme offre d’importantes bourses pour l’équipe qui mettrait au point le meilleur casque. Pour entrer dans cette compétition, l’entrepreneur de Kupol réalise qu’il ne peut le faire seul. Il approche d’autres startups qui excellent dans leur domaine et les convainc rapidement de sauter dans l’aventure.
C’est alors que le groupe Kollide, formé de quatre entreprises québécoises, voit le jour : Kupol en impression 3D, Tactix en design industriel, Numalogics en simulation numérique, Shapeshift 3D en customisation et de l’ÉTS pour la caractérisation des matériaux et les tests d’impact. Gabriel déménage même de Québec à Montréal pour se rapprocher de ses partenaires.
« On se connaissait tous un peu et nous étions très motivés par ce concours. Je pense que j’avais un certain talent pour créer ces liens-là, les convaincre et les rallier. Et puis avec mon expérience en impression 3D et de petites réussites à mon actif, je savais de quoi je parlais. La confiance s’est bâtie relativement rapidement. »
En juin 2020, en pleine pandémie de COVID, le groupe apprend que sa candidature est retenue. Le 24 octobre 2021, la nouvelle tombe : au terme du concours Helmet Challenge, le groupe Kollide se voit attribuer la somme de 700 000 $ CA pour avoir dessiné, conçu et testé en un an un casque de football complet qui protège mieux les joueurs des impacts à la tête, souvent source de commotions cérébrales.
Gabriel Boutin attribue d’abord le succès du groupe à la qualité et complémentarité des partenaires. « Nous sommes des partenaires très autonomes qui savent quoi faire et qui veulent se dépasser. On se fait confiance et chacun s’en tient à son carré de sable, à son champ d’expertise. »
Et l’autre facteur de succès réside selon lui dans l’exercice d’une très bonne gestion de projet. Il reconnait la compétence du gestionnaire, Franck Le Navéaux, ingénieur chez Numalogics, qui a fait la différence. « Chaque semaine, de manière assidue, nous avions une rencontre sur le projet et une autre sur les aspects corporatifs. Nous communiquions régulièrement avec la NFL sur l’état d’avancement du projet. Tout s’est très bien déroulé; nous en étions même un peu étonnés! »
Il aura fallu également une certaine audace au groupe pour innover et développer des solutions qui fonctionnent. En impression 3D par exemple, ils se sont rabattus sur les imprimantes existantes tout en trouvant une manière innovante de les utiliser. « Nous sommes les seuls à utiliser la technologie FDM pour fabriquer un casque de haute performance et c’est certainement la meilleure approche car c’est celle qui génère les coûts de fabrication les plus bas. »
De nouvelles perspectives en vue
Le prototype de casque qu’ils ont développé se rapproche tellement des objectifs fixés par la NFL en termes de réduction des impacts ou de l’absorption de l’énergie par le casque que celle-ci a décidé de soutenir les recherches dans une seconde phase. Ainsi, la suite s’annonce déterminante car elle va permettre au groupe de pousser le concept encore plus loin, de procéder à de nombreux ajustements pour éventuellement atteindre l’étape de la commercialisation.
Gabriel Boutin s’estime très satisfait du résultat, de l’avancée technologique à laquelle le groupe est parvenu et qui permet d’offrir davantage de protection avec ce casque. « Mais il reste encore tellement à faire. Ça pourrait être le projet d’une vie, clairement! »
Et pour les partenaires, Kollide c’est aussi un projet à plus long terme, qui aura une vie après le concours de la NFL. Fort de leur succès avec le casque de football, ils espèrent percer dans d’autres secteurs d’activités avec le bon modèle d’affaires.
« Toutes les compétences du groupe sont nécessaires pour attaquer d’autres secteurs d’activité. Il y a plein de choses qu’on devra apprendre. C’est clair que ce succès provient du travail d’un groupe. Nous sommes très soudés et motivés. C’est un facteur de succès. »
Gabriel déplore toutefois le fait qu’il y a très peu de concours comme celui de la NFL où on injecte de l’argent dans l’innovation. « Ça prend un catalyseur, un désir pour l’invention. Ça pourrait aussi être dans le domaine médical par exemple. On ne dirait pas non à de l’aide pour développer d’autres innovations, des concours lancés par de grandes institutions! »
Et le mot de la fin…
« Le plus ardu, c’est la constance dans le travail chaque jour dans le temps. Le chemin de l’innovation n’est pas évident car le plan n’est pas écrit. En tout cas, la façon d’y arriver n’est vraiment pas claire! C’est certainement cet aspect mystérieux et complexe qui m’attire, un peu comme un gigantesque casse-tête dont il faut placer les pièces une à une. » – Gabriel Boutin
En savoir plus sur l’aventure NFL et les prouesses technologiques réalisées, cliquer ici
Crédit photos : Cyrille Cambien
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Bernard Lebrun est diplômé en design industriel et évolue depuis toujours dans le monde du développement de produits. Gestionnaire reconnu pour avoir occupé les postes de directeur général et directeur de la R-D au sein de diverses entreprises manufacturières telles que Maax et Premier Tech, il connait bien la dynamique des milieux entrepreneuriaux. Les dernières années ont été consacrées à des activités de consultation permettant le transfert aux entreprises d’une expertise terrain.
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