par Sophie Morin, ing., Ph. D., consultante, enseignement de la créativité
En matière d’innovation, la créativité est une compétence essentielle à développer au sein des entreprises. Et contrairement à ce que plusieurs d’entre nous peuvent croire, la créativité n’est pas un don inné. Chacun peut améliorer son potentiel créatif. Comment? Sophie Morin, experte dans le domaine, nous explique que pour devenir plus créatif il faut avant tout comprendre les fondements de base de la créativité et s’investir dans le processus de développement.
La créativité est un concept vaste et complexe qui a fait l’objet d’une multitude d’études dans de nombreuses disciplines comme la psychologie, le design et l’éducation. La recherche sur la créativité fournit des théories, des modèles, des outils et des résultats empiriques pouvant être exploités dans les programmes de formation. Les entreprises pourraient en tirer profit afin de développer les compétences créatives de leurs employés.
Fruit du hasard ou fruit du labeur?
La définition suivante de la créativité réunit deux perspectives souvent utilisées dans la littérature, soient le résultat et le processus : La créativité est l’habileté de produire un artéfact nouveau, original et utile qui répond à un besoin identifiable, en recombinant d’une manière différente des concepts déjà intégrés.
Le développement des capacités cognitives qui permettent la créativité s’apparente à celui relié à d’autres habiletés. Qu’il s’agisse de musique, de danse, de soccer ou d’écriture, il est essentiel de bénéficier de conseils d’experts et de passer des heures à pratiquer pour atteindre un niveau de performance satisfaisant.
Des activités élémentaires doivent donc être effectuées pour développer certaines capacités de base (cognitives et physiques). Par exemple, faire des gammes en musique, faire des ports de bras en danse, réaliser des jeux de pied au soccer, créer des métaphores en écriture, etc. Bref, l’apprentissage d’une discipline et la maîtrise de compétences se développent forcément par la compréhension et la pratique des activités de base qui y sont reliées. Et ce n’est pas différent pour la créativité.
Mythes et légendes
De nombreux mythes rattachés à la créativité durent et perdurent dans l’imaginaire collectif. À tort ou à raison, plusieurs idées font leur chemin dans le pays de la désinformation, ayant pour résultat de rendre la créativité presqu’inaccessible pour certains. En voici des exemples.
La créativité a longtemps été perçue comme un don inné ou une capacité naturelle de certaines personnes à générer des idées hors du commun. Cette perspective laisse peu de place au potentiel d’apprentissage de la créativité. Or, tout comme une multitude d’autres caractéristiques personnelles tels la flexibilité, le sens du rythme ou le leadership, notre bagage génétique peut certes jouer un rôle mais celui-ci demeure partiel, voire quelquefois minime. Ainsi, avec des approches pédagogiques adéquates (formation) et des facteurs facilitants (motivation, environnement, etc.), chacun peut améliorer son potentiel créatif.
Par ailleurs, l’expertise peut apparaitre comme un élément qui nuit à la créativité. L’expert sait déjà que l’idée ne fonctionnera pas parce qu’elle a déjà été essayée ou qu’il en connait les impacts, ou encore parce qu’un collègue ne sera pas d’accord, etc. Il est vrai que cette situation peut se produire si l’expert n’en a pas conscience ou s’il n’est pas prêt à avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour saisir l’intérêt de l’idée proposée. Toutefois, l’expertise est essentielle à la créativité. Il faut connaitre la boite avant d’aller chercher à l’intérieur ou à l’extérieur de celle-ci pour identifier de nouvelles pistes de solutions. Prendre conscience (métacognition) de ses propres pensées, de ses propres impulsions lors d’une idéation constitue un élément essentiel de la compréhension du processus créatif.
Parmi plusieurs autres mythes, on peut mentionner l’idée que la créativité se limite aux arts, aux artistes ou peut-être même à l’esthétisme. Par exemple, le design d’un air climatisé portatif sera plus facilement associé à la créativité que le mécanisme intérieur qui lui, sera probablement associé à l’ingéniosité. Un élément technique, peu attractif visuellement, peut être tout aussi créatif qu’une « belle » forme. Et l’inverse est aussi vrai! Ce ne sont pas tous les arts ou tous les artistes qui sont gages de créativité. Il devient donc important de comprendre l’essence même de ce qu’on identifie comme créatif et surtout pourquoi ça l’est pour nous.
1-2-3-4! La créativité, ça s’entraine
En entreprise, il est facile de tomber dans différents pièges en lien avec la démonstration de créativité. Par exemple, réunir cinq personnes dans une salle de conférence un mercredi après-midi pour une session de brainstorming, visant à « trouver des solutions » dans la prochaine heure, peut s’avérer très décevant. Certaines organisations offrent à leurs employés des formations de quelques heures sur « comment être plus créatif ». Cela peut être un bon départ, mais il faut se demander : Avec une seule journée d’atelier sur la course à pied, seriez-vous en mesure de courir un marathon? Probablement pas.
La créativité est une compétence qu’on peut développer de manière générale dans la vie et de manière spécifique, notamment au plan professionnel. Les entreprises doivent considérer la créativité comme le résultat d’un développement à moyen ou même à long terme. Une culture organisationnelle de la créativité devrait être instaurée et valorisée de manière systémique, comme pour la bonne santé physique par exemple. Allons au gym pour garder une bonne forme physique et allons au « gym créatif » pour développer notre « muscle » créatif. Ça prend du temps, de la motivation, du dévouement et surtout beaucoup de plaisir à pratiquer pour développer son potentiel créatif.
Mais comment faire concrètement? Voici quelques éléments de réponse pour mettre des bases en place.
- D’abord, s’informer au sujet de la créativité; mieux comprendre les processus sous-jacents pour se débarrasser le plus possible des idées préconçues qui pourraient devenir des barrières à son développement (mythes, facteurs, etc.).
- Ensuite, faire l’apprentissage et la pratique de différentes approches d’idéation comme SCAMPER, le biomimétisme ou les stimuli aléatoires peuvent s’avérer pertinents.
- Les entrainements à la créativité devraient être faits sans objectif ou sans projet « réel », uniquement pour pratiquer la méthode. L’ajout d’un enjeu de performance nuit à l’apprentissage de la méthode en éloignant les apprenants des prises de conscience nécessaires au développement de la créativité.
- De même, élaborer un cahier d’observations, un genre de journal personnel d’anecdotes, de conversations, d’images, d’opinions par exemple, peut aider à développer la faculté d’observation ainsi que l’esprit critique nécessaires pour augmenter son potentiel créatif. Ils sont très utiles pour consigner des nouvelles connaissances et faire de nouveaux liens entre des concepts semblant éloignés.
L’intégration régulière de jeux sérieux, pratiqués entre collègues, peut certainement aider à construire des connexions cérébrales nouvelles qui favorisent la pensée créative. Les jeux doivent être choisis et conçus avec cet objectif cognitif et métacognitif pour qu’ils soient efficaces et efficients. Plusieurs jeux existent déjà ou peuvent être créés à cette fin tels que Mot de passe, Dessine-moi une carte, Doodles, Ça sert à quoi? RAT (Remote Association Test), Complète le dessin.
Finalement…
Commencer par une « formation à la créativité » s’avère une stratégie intéressante pour aller vers plus de créativité en entreprise. Une telle formation doit nécessairement prendre appui sur une compréhension globale des fondements scientifiques de la créativité ainsi que sur des stratégies pédagogiques adéquates. Toutefois, pour un réel impact, profond et durable, le développement de la créativité doit constituer une préoccupation continue pour chaque organisation qui se donne un tel but.
Il n’existe pas de recette miracle ou de one shot deal! Même si le chemin vers plus de créativité peut sembler parsemé de défis, il est clair que celui-ci en vaut la chandelle! Les individus tout comme l’entreprise en verront les bénéfices à plusieurs points de vue : cohésion de groupe, efficacité des idéations, meilleur potentiel d’innovation pour ne nommer que ceux-ci. Lorsque bien intégré aux diverses activités de l’organisation, le processus de développement de la créativité est motivant, dynamique, enrichissant et tellement divertissant!
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Sophie Morin est ingénieure industriel, diplômée de Polytechnique Montréal. Elle a reçu son Ph. D. en ergonomie cognitive en 2016; sa thèse porte sur l’enseignement de la créativité par une approche cognitive. Elle offre d’ailleurs un cours sur le sujet à Polytechnique Montréal depuis plusieurs années. Sophie œuvre également comme consultante dans divers environnements académiques et organisationnels. De surcroit, elle enseigne le ballet et la création dans un programme de danse-études.
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