Par Jean-Marie Chevalier, chargé de projets éco-innovation, agence Think +
La Commission européenne a présenté en mars dernier un ensemble de propositions liées au pacte vert pour l’Europe. Ce pacte vise à faire des produits durables la norme dans l’Union européenne (UE), à promouvoir des modèles d’entreprise circulaires et à donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique. Quels sont les impacts potentiels de ces normes pour nos entreprises québécoises exportatrices. Éclairage de notre partenaire français, l’agence Think +, sur ces tendances en matière de règlementation.
Nous pouvons tous le constater, l’environnement prend une place prépondérante dans le débat public. La pression s’intensifie sur les citoyens ayant des comportements non responsables et s’exerce aussi sur les entreprises qui ne s’inscrivent pas dans des démarches responsables. Dernier exemple en date, les étudiants de l’École polytechnique de Paris s’opposent à l’implantation d’un centre de recherche du groupe LVMH, numéro 1 mondial du luxe, dédié au « luxe durable et digital ». Ce projet est perçu comme une stratégie de « greenwashing » et soulève l’indignation : Est-ce qu’on a vraiment envie de développer des innovations qui ne vont profiter qu’à 1 % de la population, qui poussent à la surconsommation et qui ne respectent pas les limites planétaires? »
Un contexte tendu donc avec les attentes de jeunes générations qui évoluent, mais aussi avec l’instabilité politique qui règne en Europe et qui influe sur de nombreux domaines liés aux industries (disponibilité des ressources, prix des énergies etc.). Un contexte complexe auquel viennent s’ajouter des contraintes réglementaires de plus en plus fortes.
À cet égard, en renforçant les exigences en matière d’écoconception à un nombre croissant de gammes de produits, la Commission européenne souhaite faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat. Elle propose notamment de nouvelles règles afin de rendre la quasi-totalité des biens physiques présents sur le marché de l’Union européenne (UE) plus écologiques, plus circulaires et plus sobres en énergie tout au long de leur cycle de vie, englobant la conception, l’utilisation courante, la réaffectation et l’élimination des produits.
Nouvelles réglementations en vigueur en France
Pour les entreprises souhaitant travailler avec l’Europe, il est aujourd’hui primordial d’être en conformité avec ces règlementations en vigueur mais aussi à l’affut des règlementations futures pour ne pas se voir fermer certains marchés. Voici quelques règlementations européennes importantes applicables au marché français. Une liste multisectorielle et non exhaustive qui prouve aussi la difficulté de l’exercice mais aussi le périmètre de plus en plus large que couvrent les règlementations environnementales.
Depuis janvier 2022, nous assistons au déploiement de certaines lois pour de nombreux secteurs d’activités en France. Si ces lois ne sont pas toujours faciles à comprendre et à intégrer en entreprise, elles ont le mérite d’être en vigueur. Et on peut penser qu’elles ne sont que les prémisses de règlementations de plus en plus strictes à venir.
Loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire
Plusieurs dispositifs de cette loi sont entrés en vigueur ce 1er janvier 2022. En voici quelques exemples :
- L’interdiction de détruire les invendus non alimentaires: les vêtements et chaussures, les produits électriques et électroniques, les meubles, les produits d’hygiène et de puériculture, les équipements de conservation et de cuisson des aliments, les produits d’éveil et de loisir, les livres et les fournitures scolaires. Au 31 décembre 2023, l’intégralité des produits sur le marché sera soumise à cette législation. Une obligation donc pour les entreprises d’identifier des filières de valorisation pour ces produits.
- La fin des plastiques à usage unique: plusieurs catégories de plastique sont visées :
- Les emballages plastiques de certains fruits et légumes
- Les jouets en plastique présents dans les menus pour enfants de certains géants de la restauration rapide
- La livraison sous plastique des journaux, magazines et publicités
- L’impossibilité pour l’État d’acheter des produits en plastique à usage unique pour une utilisation sur les lieux de travail ou lors des événements qu’il organise.
- Le calcul des émissions CO2 liées à internet et au réseau cellulaire : Les fournisseurs d’accès internet et opérateurs mobiles devront communiquer à leurs abonnés les émissions de gaz à effets de serre liées à leur consommation Internet et mobiles.
- De nouvelles filières de responsabilité élargie des producteurs (REP françaises): Quatre nouvelles REP sont instaurées sur les produits suivants :
- Les jouets (Eco-Mobilier)
- Les articles de sport et de loisir (Ecologic)
- Les articles de bricolage et de jardin (Ecologic)
- Les huiles usagées
Les cahiers des charges de ces nouvelles filières ont été rédigés. Par exemple, les jouets devront être collectés à 45 %, recyclés à 55 % et réemployés à 9 % d’ici 2027. Des écocontributions pourront être attribuées afin d’inciter les producteurs à améliorer leurs produits. La disponibilité de pièces détachées sera un critère pour ces trois premières REP et l’incorporation de matière recyclée en sera un second pour la filière sport. Il est donc intéressant d’intégrer l’écoconception dans ses pratiques de développement de produits pour être en mesure d’aller chercher des réductions sur les futures contributions.
La mise en place de la RE2020 dans le secteur du bâtiment
La France passe d’une réglementation thermique à une réglementation environnementale, la RE2020, plus ambitieuse et exigeante pour la filière construction. Le secteur du bâtiment représente en France 44 % de la consommation d’énergie et près de 25 % des émissions de CO2. Le pays a donc un objectif très ambitieux de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2050, par rapport à celles de 1990, notamment grâce à
- des bâtiments neufs produisant tous plus d’énergie qu’ils n’en consomment à compter de 2020;
- une massification de la rénovation des bâtiments existants, au plus tôt et sur une longue durée, à bon niveau de performance énergétique.
La RE2020 doit à terme remplacer la RT2012 pour la construction neuve. Les premiers textes précisant les exigences de performance énergétique et environnementale et les méthodes de calcul ont été publiés. Toute la chaine de valeur du secteur du bâtiment y est donc soumise, des fabricants de matériaux de construction et d’équipements en passant par la phase d’exploitation (climatisation, éclairage, etc.).
La réglementation environnementale entrée en vigueur en 2022 repose sur trois (3) axes principaux :
- L’obligation de recourir à des modes constructifs peu émissifs. Désormais, l’analyse du cycle de vie devient obligatoire pour permettre de calculer l’impact carbone d’un bâtiment neuf. Dans ce cadre-là, la RE2020 recommande l’utilisation de matériaux biosourcés et peu émissifs.
- L’importance de diminuer la consommation d’énergie. La RE2020 donne une place particulièrement importante à l’utilisation d’énergies décarbonéesainsi qu’à des équipements à la fois performants et intelligents pour réduire le plus possible l’énergie consommée.
- La garantie du confort d’été : C’est sans doute l’une des grandes nouveautés de la RE2020 par rapport aux réglementations précédentes. Le confort d’été est désormais pris en compte par la réglementation environnementale. « Le confort d’été » désigne la capacité d’un bâtiment à maintenir une température intérieure maximale agréable l’été, sans avoir à recourir à un système de climatisation (qui peut s’avérer très énergivore).
Et dans le secteur du transport
Dans ce secteur d’activité, on note principalement les éléments suivants :
- L’entrée en vigueur de pénalités sur le poids des véhicules de tourisme de plus de 1 800 kilos. Elles s’appliqueront aux véhicules de tourisme neufs pesant plus de 1,8 tonne, avec un tarif unitaire de 10 € par kilogramme excédentaire. Les véhicules utilitaires, quant à eux, ne sont pas concernés par cette taxe.
- Le renforcement du malus (pénalité) lié aux émissions de CO2 des véhicules et prolongation du barème actuel du bonus pour aider à l’acquisition de véhicules propres.
- Le barème du bonus écologique maintenu à son niveau actuel pour une durée supplémentaire de six mois.
Quel impact pour les entreprises québécoises exportatrices?
Pour les exportateurs québécois, il est donc primordial de se tenir informé de ces évolutions et être en conformité au risque de voir l’accès aux marchés européens se réduire, voire se fermer. Les règlementations sont le reflet des enjeux environnementaux et parfois sociétaux; la Convention citoyenne pour le climat en est un bel exemple en France.
Engager une démarche d’écoconception peut donc vous aider à explorer ces problématiques et enjeux, parfois similaires au niveau mondial (raréfaction des ressources, empreinte carbone des produits, etc.) mais aussi différentes dans l’application ou les échéances suivant votre zone géographique (affichage environnemental, liste de substances problématiques, bannissement de produits à usage unique, REP effective ou non etc.).
Certaines règlementations vous seront directement imputables (substances interdites, obligation de contenu recyclé dans les produits), d’autres seront subies par vos clients et/ou distributeurs (responsabilité élargie des producteurs). Il est donc important pour vous d’établir une liste de ces contraintes réglementaires et les conséquences associées. Ces conséquences peuvent avoir une répercussion interne forte, notamment sur vos politiques d’achat, vos processus de conception de produits ou services, mais aussi une répercussion externe, sur une partie de votre chaine de valeur et vos parties prenantes.
Pourquoi ne pas prendre de l’avance?
Nous accompagnons régulièrement des entreprises à intégrer l’environnement dans leur pratique. Nous constatons trop souvent une méconnaissance des règlementations environnementales liées à leurs produits ou services. La première étape d’une démarche d’écoconception est donc de se conformer aux règlementations en vigueur. Ensuite, les stratégies d’écoconception peuvent toutes être explorées afin de réduire l’impact du produit ou service, augmenter la marge produit, ou encore se différencier de la concurrence.
Lorsque vos produits ne sont pas soumis à des contraintes fortes, nous conseillons aussi d’identifier les règlementations « dures » sur des produits similaires dans le monde. Il est toujours intéressant de se confronter aux contraintes élevées de certains pays ou territoires (Europe, Californie etc.) afin de préparer ses équipes aux futures contraintes très en amont. Un moyen d’innover parmi tant d’autres !
Pour en savoir plus :
Environnement et changement climatique
Les nouvelles filières REP en France
Écoconception pour des produits durables
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Depuis plus de 10 ans, Jean-Marie Chevalier accompagne les entreprises de tous secteurs en éco-conception et économie circulaire. Après avoir obtenu son master en écoconception, Jean-Marie a évolué plusieurs années dans le secteur du recyclage en France pour ensuite travailler au Québec dans le secteur de l’environnement et de l’écoconception. Depuis 2019 chez Think+, agence d’écoconception et de communication responsable, il met son expertise à la disposition des entreprises de tous secteurs.
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