Par Amira Boutouchent, cofondatrice et pdg de BRIDGR* et David Fauteux, conseiller à l’IDP
La transition numérique est devenue une réalité pour tous. Cette révolution est-elle compatible avec la nécessaire transition écologique? Comment nous, acteurs de ces deux réalités, pouvons-nous arrimer l’intégration des technologiques numériques dans les entreprises et contribuer à réduire l’impact environnemental?
Le monde entier vit une véritable révolution industrielle. Depuis peu, nous sommes entrés dans l’ère du 4.0, l’équivalent moderne de l’arrivée de la machine à vapeur au XVIIIe siècle ou de la robotisation il y a plus de 30 ans. Et nous ne sommes qu’au début de cette nouvelle révolution qui consiste à intégrer les technologies numériques dans l’ensemble des activités des entreprises pour rendre nos usines plus intelligentes.
Cette transformation intervient dans un contexte où les gouvernements et les consommateurs s’attendent à ce que les industriels et manufacturiers soient plus responsables, plus humains et que l’impact environnemental de leurs activités soit positif et significatif. Comment, dans ce contexte, les entreprises peuvent-elles faire un usage intelligent et écoresponsable de la quantité importante de données générées désormais accessibles? Comment s’assurer que la révolution numérique ne soit pas un facteur de surproduction mais plutôt de « juste-production ».
Dans cet article, nous tentons de voir comment l’intégration des technologies numériques peut être un vecteur de réduction des impacts environnementaux. Avec en trame de fond les cinq grandes étapes du cycle de vie d’un produit, notre analyse porte tant sur le produit que sur le système de fabrication de l’entreprise.
Étape 1 : Gestion des matières premières
Le cycle de vie de chaque produit commence par l’identification et l’approvisionnement en matières premières. La gestion de ces ressources, notamment de leur transport et de leur stockage, est probablement une des activités les plus touchées par la transition numérique. Comme il s’agit d’une étape ayant souvent un grand impact environnemental, chaque décision est cruciale!
Si les gouvernements et les régulateurs ont ici un grand rôle à jouer pour que cet impact environnemental soit le plus positif possible (ou à défaut le moins négatif), la transformation numérique peut s’avérer une véritable opportunité dans certains secteurs. Comme nous l’explique Florent Bouguin, v.-p. Ingénierie et technologie chez Optel** : « Si on arrive à gérer de manière intelligente toutes les étapes de la chaine d’approvisionnement, on peut avoir un véritable impact en termes d’empreinte environnementale. »
Il existe aujourd’hui différentes technologies (capteurs, Internet des objets, intelligence artificielle, etc.) permettant de récolter des données pour commander nos ressources au bon moment et ne pas encourir de stocks trop volumineux, optimiser les transports de nos matières et les stocker de manière intelligente.
Une des pistes les plus pertinentes pour maintenir un impact environnemental positif est la sélection et la collaboration avec des fournisseurs et partenaires écoresponsables. C’est le cas chez Optel comme le précise son v.-p. Ingénierie et technologie :
« Nous avons un processus de qualification de nos fournisseurs qui nous permet de voir si eux-mêmes ont des chaines d’approvisionnement responsables. Nous limitons au maximum l’utilisation de technologie ‘blockchain’ car elles ont une grande empreinte environnementale, y compris pour le hardware. De plus, nous essayons d’investir au maximum dans des ressources locales. »
De fait, le choix de fournisseurs écoresponsables permet de créer un cercle « vertueux » dans son cycle de production. Cette rigueur s’applique également dans la mise en place de nouvelles technologies. Par exemple, un transporteur ayant un système d’optimisation des routes et de ses flottes qui alloue à ses clients un suivi en temps réel de ses livraisons, permet une réduction des temps de livraison, une optimisation de la gestion des stocks, une minimisation des risques de retard et une réduction de son impact environnemental.
Étape 2 : Fabrication
Une fois que nous avons les ressources, nous passons à la fabrication du produit. Cette étape est au cœur de la transformation numérique. Au-delà de l’automatisation, les travailleurs manipulent ou contrôlent maintenant des robots intelligents, facilitant leurs tâches quotidiennes dans certains cas et dans d’autres, pouvant faire évoluer leur emploi de la fabrication manuelle au contrôle qualité et à la gestion de robots.
Selon Ericsson, l’Internet des objets entraînera une augmentation de l’efficacité industrielle et nous aidera à mieux mesurer notre impact sur le climat. La firme de télécommunications prédit même que les technologies numériques pourront accélérer la réduction des émissions mondiales de 15 % d’ici 2030, tout en ne représentant que 1,4 % des émissions mondiales.
Plusieurs technologies numériques s’appliquent au processus de fabrication, allant de capteurs à des algorithmes de vision pour un contrôle qualité automatique, à l’automatisation complète de certaines tâches ou encore à de la maintenance prédictive. Et s’il y a bien une technologie qui peut avoir un impact environnemental positif lorsqu’utilisée à bon escient, c’est bien celle des jumeaux numériques.
Par exemple, la reconstitution virtuelle d’une usine et de l’ensemble de ses procédures pourrait créer à terme une bonne réduction dans la quantité de déchets qu’elle génère. Mais cette technologie peut aussi contribuer à réduire les erreurs et à mieux prédire les conséquences environnementales d’un procédé ou d’une opération. En prenant les bonnes dispositions en amont, les industriels peuvent ainsi prévenir plutôt que guérir.
Enfin, la production de masse se transforme graduellement vers la personnalisation. Les produits sont en effet de plus en plus fabriqués pour des usages uniques, à la demande du client. La fabrication additive ou impression 3D peut elle aussi réduire les délais de mise en marché et rendre la fabrication plus localisée. Si nous exploitons cette solution de la bonne manière, cela peut avoir un impact significatif sur l’empreinte écologique au sens large tout en réduisant les coûts de distribution.
Étape 3 : Distribution
À cette étape, où le transport et le stockage sont prédominants, les technologies numériques peuvent avoir un impact positif sur l’environnement. À cet égard, la firme Optel est un joueur-clé dans la chaine de distribution de plusieurs gros joueurs mondiaux qui comptent sur celle-ci pour réduire leur empreinte écologique.
Selon Florent Bougouin, Optel a déployé plusieurs projets tant dans les activités internes que dans les solutions associées à la chaine de distribution de ses clients. Il cite en exemple la technologie de sérialisation qui assure l’intégrité du produit tout au long des étapes de livraison, et qui contribue également à en réduire la contrefaçon. Le fournisseur de systèmes de traçabilité mise aussi sur des initiatives de leurs clients, dont celle de limiter leur propre transport, en s’appuyant sur les technologies de réalité virtuelle et de réalité augmentée (AR/VR) pour assister les mises en production de leurs systèmes.
Pour la distribution tout comme pour l’approvisionnement, le choix de partenaires écoresponsables est judicieux. Cela permet aux entreprises d’avoir une vision commune et convergente des enjeux et d’élaborer des stratégies complémentaires pour la réduction de l’impact environnemental.
Chaque entreprise reste maître de sa logistique de distribution. Les plus performantes, une fois leur gestion des opérations stabilisée, peuvent s’appuyer sur des modes de transport à faible impact environnemental tels les liens ferroviaires ou maritimes. En effet, ces types de transport exigent de l’entreprise une plus grande rigueur car ils offrent moins de flexibilité au niveau des horaires.
Encore ici, des outils numériques internes permettent de soutenir les activités de fabrication en lien avec les échéanciers de livraison. Dans ce contexte, on comprend le lien étroit avec la productivité d’une entreprise et sa saine gestion des données.
Étape 4 : Utilisation
La phase d’utilisation est celle où le produit se retrouve enfin entre les mains de l’utilisateur final. Trop souvent, les entreprises présument des usages que les consommateurs vont faire de leur produit alors que d’autres usages peuvent en être faits, qui resteront méconnus du fabricant. L’intégration des technologies numériques dans le produit, on parle de l’Internet des objets (IoT), permet de générer une quantité importante de données sur son utilisation, accessibles aux entreprises.
Selon le fabricant d’électroménagers Bosch, l’Internet des objets et l’analyse des données recueillies permet de :
- mieux comprendre les besoins et comportements des utilisateurs pour concevoir de meilleurs produits;
- optimiser les modes d’utilisation et prévoir des scénarios de maintenance préventive;
- réduire la consommation des ressources et de l’énergie.
Au-delà des aspects directement liés aux fonctionnalités des produits, les données ont une valeur importante lorsqu’elles sont rendues accessibles en temps réel aux consommateurs. Rigoureusement traitées et analysées, elles peuvent renseigner le consommateur sur l’impact environnemental de ses actions, par exemple. Cette rétroaction peut être instantanée lors de l’utilisation du produit ou communiquée autrement par l’entreprise. Selon Optel, les technologies numériques rendent possible l’affichage d’informations pertinentes sur la chaine d’approvisionnement du produit, pouvant éclairer le consommateur dans ses comportements et décisions d’achat.
Étape 5 : Fin de vie
Arrivés en fin de vie, trop de produits finissent sur le chemin du dépotoir alors que leur potentiel économique est encore très riche. C’est alors qu’on doit parler d’économie circulaire. Pour bien intégrer les éléments clés de ce type d’économie, la fin de vie des produits doit être planifiée dès les premières étapes de sa définition.
Il importe de se pencher tôt sur les aspects logistiques du futur produit. De quelle manière l’entreprise peut-elle influencer, voire diriger ses produits vers les bonnes filières de récupération plutôt qu’à l’enfouissement? Peut-elle les récupérer et fermer la boucle? Cano a créé un réseau de tasses réutilisables et intelligentes, intégrant la technologie RFID, qui permet de les localiser et de les récupérer en fin de vie.
BIXI est un autre exemple d’intégration de technologies numériques permettant de gérer une flotte de vélos en libre-service. Dans ce cas-ci, l’entreprise propriétaire du produit est responsable de la saine gestion de sa fin de vie. Elle a donc tout avantage à concevoir le produit pour faciliter le désassemblage, la réutilisation de pièces, la récupération des matériaux, etc., ce qui réduit ultimement son impact environnemental en augmentant sa durée de vie.
En conclusion
L’optimisation des ressources et de l’énergie aux différentes étapes du cycle de vie est déterminante dans la réduction de l’impact environnemental des produits et des systèmes manufacturiers. En ce domaine, plusieurs bonnes pratiques existent et un grand nombre d’entre elles sont soutenues par l’arrivée des nouvelles technologies.
Mais les technologies numériques ne règleront pas tout. L’impact environnemental des produits repose également sur l’éthique que s’impose l’entreprise. Chez Optel, « la traçabilité et la transparence de nos opérations manufacturières sont des enjeux majeurs, affirme Florent Bouguin. La transparence guide les efforts de traçabilité dans les solutions offertes à nos clients. Car, pour ceux-ci, avoir la bonne information permet des décisions stratégiques réfléchies, des décisions éthiques. »
Selon BRIDGR, qui accompagne les PME manufacturières dans leur transformation numérique, il est clair que la multiplication des technologies liées à la donnée, à l’intelligence artificielle ou à la simulation numérique a un impact significatif sur l’environnement. Dans un contexte d’accès à une quantité considérable de données, jamais l’entreprise n’aura eu autant conscience de son rôle social et de ses responsabilités environnementales.
Pour l’IDP, l’impact environnemental d’un produit va bien au-delà de sa sortie de l’usine. Et grâce à la collecte et à l’analyse de données en temps réel, ces impacts seront prévisibles et rendront possibles des choix éclairés. À l’heure actuelle, les responsabilités liées à l’utilisation et à la disposition du produit en fin de vie sont encore trop souvent laissées aux consommateurs. L’entreprise doit assumer la responsabilité des impacts environnementaux et éthiques des produits qu’elle fabrique.
Nous ne sommes qu’au tout début de la 4e révolution et l’impact environnemental déjà positif nous permet d’être optimiste quant aux possibilités qu’offre cette transformation technologique. Mais n’oublions pas que, si puissantes soient-elles, les technologies ne sont que des outils. Les personnes jouent un rôle déterminant dans toute la chaine de valeur. Il appartient donc à nous tous de faire de cette révolution numérique une véritable révolution environnementale.
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*BRIDGR est une plateforme qui permet aux PME industrielles de gérer leur transformation numérique en leur donnant accès à des experts qualifiés et à des technologies adaptées à leurs projets.
**Dans le cadre de cet article, Florent Bouguin, vice-président Ingénierie et technologie chez Optel, a généreusement accepté de nous accorder une entrevue téléphonique. Nous l’en remercions.
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