Par Philippine Loth, chargée de projets à l’IDP
Pour plusieurs d’entre nous, l’économie circulaire s’apparente principalement au recyclage. Mais ce modèle économique chapeaute de nombreux concepts et stratégies. Cet article aborde une de ces stratégies qui consiste à prolonger la durée de vie des produits et des composants. Les activités de l’entreprise québécoise Piscines et Spas Poséidon constituent un bel exemple de modèle d’affaires intégrant la remise à neuf.
Qu’est-ce que l’économie circulaire?
Le pôle de concertation québécois sur l’économie circulaire, coordonné par l’Institut du développement durable et de l’économie circulaire (Institut EDDEC), propose la définition suivante :
« L’économie circulaire est un système de production, d’échange et de consommation visant à optimiser l’utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d’un bien ou d’un service, dans une logique circulaire, tout en réduisant l’empreinte environnementale et en contribuant au bien-être des individus et des collectivités. »
L’économie actuelle dite linéaire extrait, transforme, distribue, utilise et jette les produits en fin de vie. Et dans un monde où les ressources se raréfient, la demande augmente et les déchets s’accumulent. La situation engendrée par ce modèle n’est plus tenable.
À l’opposé, le modèle de l’économie circulaire fonctionne en boucles, en réintroduisant les ressources qui circulent déjà dans notre société. L’objectif : limiter la consommation et le gaspillage des matières premières.
En 2018, l’Institut EDDEC a développé un schéma qui fait consensus au Québec pour illustrer le modèle de l’économie circulaire (voir figure ci-après). Deux types d’action sont proposées : REPENSER nos façons de consommer et de produire en amont de la production, et en aval, OPTIMISER l’utilisation des ressources qui circulent déjà. Pour l’optimisation, trois stratégies possibles : Augmenter la fréquence d’utilisation des produits, prolonger la durée de vie des produits et composants ou donner une nouvelle vie aux ressources. Cet article traite de la deuxième stratégie.
Prolonger la durée de vie des produits et des composants : la remise à neuf
Augmenter la durée de vie des produits et des composants peut se faire de différentes façons. Par exemple, l’entretien et la réparation d’un produit peuvent être réalisés par le consommateur lui-même, le distributeur ou encore le fabricant. Il peut s’agir également du don ou de la revente de biens par les consommateurs permettant la remise en circulation de produits en bon état. Mais qu’en est-il de la remise à neuf de produits? Ce service peut-il être intégré au modèle d’affaires d’une entreprise, au même titre que la fabrication de nouveaux produits?
L’illustration la plus connue est celle de Xerox, qui, depuis les années 1980, a introduit des notions de circularité dans sa façon de fabriquer et d’utiliser ses imprimantes. A travers un programme de collecte, de réutilisation et de recyclage des consommables usés, nommé le Green World Alliance, 4 600 tonnes métriques de consommables ont été récupérées en 2017 pour être remises à neuf ou recyclées. Ces procédés permettent à l’entreprise d’économiser plusieurs millions de dollars en coûts de matières premières chaque année.
Selon la plateforme Québec circulaire, la remise à neuf consiste à « remettre un produit ou composant à l’état neuf avec une garantie équivalente ou proche de celle du neuf. Le produit est collecté, transporté, désassemblé, chacun de ses composants est nettoyé et contrôlé, certains changés ou réusinés. Le produit est alors réassemblé, contrôlé et remis en vente sur le marché. » Comparée à la fabrication d’un produit neuf, cette stratégie est reconnue pour réduire l’utilisation de matières premières, la consommation d’énergie et les émissions de CO2, tout en conservant le savoir-faire qui a été intégré dans le produit lors de sa fabrication.
La remise à neuf de piscines et de spas
En affaires depuis 2002, Piscines et Spas Poséidon est une entreprise de service, d’entretien et de réparation de piscines et spas située à Longueuil. Le réusinage de spas fait partie de leur offre depuis sept ans. Son PDG, Nicolas Guillotte, nous explique comment la remise à neuf s’est doucement imposée à eux :
« Nous faisions face de plus en plus à des clients qui souhaitaient se départir de leur spa. Puisque nos techniciens sont en mesure de réparer un spa de A à Z, nous avons commencé à en récupérer de temps à autre pour les remettre en parfait état de marche et les revendre. Cette opération se faisant le plus souvent en période hivernale, cela nous a permis de garder une partie de notre main-d’œuvre qualifiée toute l’année. »
Après avoir rapatrié le spa usagé dans leurs locaux, les techniciens l’examinent et dressent une liste de ce qui doit être réparé ou remplacé. Certains composants comme les pompes, la cartouche de filtration et le couvercle sont changés par des nouveaux. Le reste est démonté, nettoyé et désinfecté minutieusement. Après l’assemblage des pièces, le spa remis à neuf sera testé avant d’être mis en vente. Les produits réusinés par Piscines et Spas Poséidon ont des garanties d’un à deux ans pour la plomberie et les composants électroniques, équivalentes à ce que peut proposer un fabricant d’origine. Grâce à ce travail, la durée de vie de certains spas est prolongée de 10 à 15 ans.
Par ailleurs, nous nous sommes demandé si l’approvisionnement était suffisant pour assurer une constance dans les activités de réusinage. Nicolas Guillotte n’a aucune inquiétude à cet égard comme l’illustrent ses propos. « Près de 5 à 7000 spas sont installés chaque année au Québec. Certains consommateurs déménagent, d’autres perdent de l’intérêt pour leur produit ou rencontrent des bris majeurs. Les spas de seconde main sont donc courants. Nous n’avons pas de mal à en récupérer que ce soit pour les remettre à neuf ou se servir des pièces réutilisables. »
Selon le PDG, les acheteurs sont surtout attirés par le prix des spas réusinés qui peuvent coûter jusqu’à 50 % moins cher. La garantie offerte les conforte également dans ce choix. Même si le prix est le principal motif d’achat, certains consommateurs sont également attirés par l’aspect « écologique » d’un produit auquel on a donné un second souffle.
Monsieur Guillotte souhaite que son entreprise se développe dans cette démarche de circularité et aille même plus loin en rendant, par exemple, les spas remis à neuf plus performants d’un point de vue écoénergétique. « Nous souhaitons traiter de façon optimale les spas de seconde main et les matériaux qui les composent. Tout d’abord, recycler les pièces et matériaux qui ne sont plus utilisables pour une remise à neuf. Ensuite, mettre en place un approvisionnement responsable pour que les matériaux neufs dont nous avons besoin aient un impact environnemental plus faible que ceux utilisés actuellement. »
En conclusion de l’entrevue, Nicolas nous a confié être fier de participer au réusinage de spas mais aussi à la rénovation de piscines dont l’espérance de vie de celles-ci peut être prolongée de 25 ans. En somme, les retombées sont d’abord d’ordre social : la rétention de la main-d’œuvre qualifiée tout au long de l’année dans un secteur plutôt saisonnier. D’un point de vue environnemental, les impacts sont indéniables; une seconde vie est donnée à des produits qui autrement iraient dans les sites d’enfouissement. Et sur le plan économique, c’est plus avantageux à la fois pour le consommateur que pour l’entreprise, quand on sait que les spas récupérés lui sont souvent cédés à faible coût ou gratuitement.
À ceux qui se posent la question, sachez que en procédant au reconditionnement de produits, une entreprise ne cannibalise pas ses autres activités. La vente de produits remis à neuf à des prix inférieurs ne fera pas baisser celle des nouveaux produits. Selon l’article Vers une économie circulaire : le potentiel inexploité du remanufacturing, « un produit usagé peut aussi permettre à un client de se familiariser avec votre offre, le convainquant à terme d’acheter également de nouveaux produits. Si vous fabriquez des produits haut de gamme, un marché de seconde main va de toute façon se développer. En procédant vous-même au réusinage, vous gardez la mainmise sur votre produit et générez des recettes supplémentaires liées à ce second cycle de vie. »
Une vraie stratégie environnementale
La remise à neuf est une stratégie cruciale dans la gestion des déchets, la récupération des matériaux et la fabrication durable. Cela peut aider les manufacturiers à faire face aux pressions environnementales, législatives et concurrentielles de la fabrication moderne.
Toutefois, ce ne sont pas tous les produits qui peuvent être reconditionnés. Selon le Journal of Remanufacturing, un produit que l’on souhaite remettre à neuf doit avoir une conception standardisée tout en étant conçu pour le démontage. Mais il doit aussi avoir une valeur en fin de vie suffisamment élevée pour que l’on ait un intérêt financier à ne pas le mettre au rebut.
Pour conclure, la remise à neuf des produits est une approche environnementale durable. Elle peut réduire les coûts écologiques de l’épuisement des matériaux et des émissions de CO2. Elle permet également aux entreprises de conserver leur main-d’œuvre qualifiée.
Pour faciliter le déploiement de cette stratégie, il faut concevoir en anticipant la prochaine vie du produit et de ses composants, en mettant au point un désassemblage simple et intuitif pour réparer ou récupérer chaque pièce qui compose un système. L’écoconception permet de mettre en œuvre ces stratégies. Mais le sujet mérite à lui seul plusieurs articles! À une prochaine!
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Philippine Loth est titulaire d’une maitrise en design industriel et d’un DESS en Ecodesign stratégique. Elle a rejoint l’IDP en septembre 2018 et y effectue depuis divers projets en lien avec le développement durable.
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