Par Benoit Poulin, ing., directeur général IDP
Déjà que l’industrie 4.0 occupe beaucoup de place dans le discours public et chamboule nos pratiques, voilà que l’industrie 5.0 se présente à nos portes. Pourquoi une nouvelle révolution industrielle en si peu de temps? Quelles sont les différences notables entre le 4.0 et le 5.0? Peut-on prévoir les impacts sur le développement de notre offre de produits et services? Benoit Poulin démystifie pour nous cette approche.
Vision d’un futur proche
Plusieurs experts s’entendent pour déclarer l’industrie 4.0 comme étant la révolution industrielle de l’ère moderne. Axée notamment sur la numérisation du travail et de l’offre de produits, cette nouvelle révolution ne cadrait pas encore tout à fait avec la perception de l’entreprise du futur, du moins pas assez selon la Communauté européenne qui s’est mise à la réflexion en juillet 2020. L’approche Industrie 5.0 est issue de cette réflexion. Plus populaire dans les pays européens, le concept d’industrie 5.0 commence à faire son bout de chemin en Amérique du Nord.
L’industrie 5.0 se présente comme une complémentarité ou une évolution de l’industrie 4.0. En fait, on s’appuie sur les principes du 4.0 pour aller encore plus loin dans la démarche. La Commission européenne définit l’industrie 5.0 comme suit :
« Pour rester le moteur de la prospérité, l’industrie doit mener les transitions numérique et verte. L’industrie 5.0 offre une vision de l’industrie qui vise au-delà de l’efficacité et de la productivité comme seuls objectifs, et renforce le rôle et la contribution de l’industrie à la société. Elle place le bien-être du travailleur au centre du processus de production et utilise les nouvelles technologies pour assurer la prospérité au-delà des emplois et de la croissance tout en respectant les limites de production de la planète. »
Selon cette conception, la contribution sociétale et l’impact positif que l’entreprise peut avoir sur les humains et l’environnement doivent être tout aussi importants que sa performance financière et sa croissance! Si l’innovation ainsi que le développement et l’utilisation de nouvelles technologies restent intimement liés aux principes de l’industrie 5.0, c’est le fait de le faire pour le bien de tous en ciblant la prospérité globale qui caractérise cette approche. Belle philosophie? Gros bon sens? C’est possiblement une excellente approche si on prend en compte les bouleversements observés au cours seulement des cinq (5) dernières années.
Trois piliers importants caractérisent l’approche industrie 5.0 comme l’illustre la figure suivante :
- Centrée sur l’humain
- Résiliente
- Durable
Source : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/aed3280d-70fe-11eb-9ac9-01aa75ed71a1
L’humain au centre de la démarche
L’humain dont il est question ici représente autant les employés que les clients. Dans les faits, il s’agit de tous les humains impliqués directement ou indirectement dans les activités de l’entreprise et de son offre.
Quand on parle de l’humain « client » au cœur de la démarche d’innovation, cela se traduit par une intégration non seulement de ses besoins non comblés mais aussi par la prise en compte de son bien-être global! Les conséquences d’une telle démarche sont directes et claires : livraison d’une expérience produit à forte valeur ajoutée qui passe par une hyper personnalisation de l’offre de produits et services et la perception positive de l’impact social de l’entreprise.
Pour ce qui est de l’humain « employé », cela implique d’abord la bonne gestion de la collaboration de ces personnes avec la « machine » et les nouveaux outils technologiques afin qu’elles puissent travailler à développer et produire cette valeur ajoutée positive. On parle ici de faire évoluer les humains en faisant la promotion et le développement des talents, de la diversité et de l’inclusivité, de l’autonomisation et de l’engagement, et de la santé globale. Vous avez déjà entendu parler de « l’entreprise au service des employés et non les employés au service de l’entreprise? » C’est exactement ce dont il est question ici. Un paradigme qui sera à travailler mais qui prend de plus en plus son sens dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre que l’on connait.
L’entreprise résiliente
L’entreprise d’aujourd’hui, et surtout celle de demain, devra faire face à de nombreux changements imprévus : crise sanitaire, conséquences de tensions politiques, crise climatique, pénurie de main-d’œuvre, pénurie de matières et de composantes, etc. L’entreprise 5.0 sera organisée pour faire face à ces défis. C’est en ayant des « humains » compétents qui utilisent de nouvelles technologies évolutives et flexibles que les entreprises atteindront le niveau de résilience requis. L’entreprise 5.0 est surtout réaliste et consciente de la rareté actuelle et future.
L’agilité entrepreneuriale prend également tout son sens dans ce concept de résilience. Pour ce faire, on assistera à un important changement des mentalités et à l’adoption d’un mode de gestion plus résiliant au lieu d’être axé sur l’efficacité et la profitabilité à tout prix. Par exemple, le fait d’avoir une gestion trop « lean » dans ce cas-ci pourrait même représenter un obstacle à l’atteinte de la résilience. Il faudra être prêt à gérer des crises.
L’intégration de l’innovation durable
En ce qui a trait aux enjeux environnementaux, l’entreprise 5.0 fait partie de la solution et non du problème ou de la cause. Elle aspire même à l’obtention d’un impact environnemental totalement positif et non seulement « carboneutre ». Cet objectif implique l’application de pratiques de gestion durable à tous les niveaux de l’organisation, dans un modèle d’affaires intégrant l’économie circulaire.
L’entreprise 5.0 verra notamment à adapter sa chaine de production et d’approvisionnement pour y réussir. Réduire – Réutiliser – Recycler, ça vous parle? L’intégration de la circularité se fera lors de la gestion du cycle de vie du produit (product lifecycle management – PLM); l’analyse de l’impact environnemental de la solution devra être systématiquement effectuée. Mais attention au « greenwashing »! Comme le client et l’humain sont au cœur de la démarche, l’engagement dans la démarche ne sera pas suffisant; l’action sera de mise!
En conclusion
L’industrie 5.0 présente la vision d’un futur pas si lointain. À la base, les trois piliers sur lesquels s’appuie cette démarche sont déjà, aujourd’hui, discutés et mis en application par bon nombre d’entreprises. Le véritable défi dans cette transition à l’entreprise 5.0 réside dans le changement complet de modèle d’affaires et de gestion pour intégrer les éléments de l’industrie 4.0 (transition numérique) et les trois piliers de l’industrie 5.0, en simultané et tout le temps!
On assistera à un changement de stratégie axée sur la prospérité globale plutôt qu’individuelle, quitte même à « sacrifier » une portion de la profitabilité », ce qui constitue un très gros changement de paradigme.
L’impact sur l’offre de produits et services sera non négligeable. Caractérisée par une offre hyper personnalisée axée sur l’expérience produit, elle devra intégrer systématiquement les enjeux environnementaux tout en ayant un impact positif sur la société et promouvant une saine implication de ses employés. Facile à dire. Mais comme le veut l’adage « on mange un éléphant une bouchée à la fois », la transition vers une offre de produits et services 5.0 se fera progressivement…mais c’est pour bientôt!
Benoit Poulin, ing., est directeur général de l’IDP depuis 2019. Il cumule près de 20 ans d’expérience de terrain en innovation. Au cours de sa carrière, il a occupé les postes de chargé de projets, analyste d’affaires, responsable de la R-D, directeur de la gestion de produits, et de conseiller en innovation et développement de produits à l’IDP de 2010 à 2015. Il est animé par un désir constant d’aider les entreprises à croitre et à rayonner dans leur milieu.
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