Par Louise Saint-Pierre, MBA, Communications IDP
La valorisation des matières résiduelles issues de la production est une stratégie d’écoconception qui s’inscrit dans la philosophie du mieux produire, mieux consommer, mieux gérer les déchets. Julia Gagnon, copropriétaire avec son conjoint de la firme Attraction en Beauce, nous raconte comment une telle stratégie leur a offert l’opportunité de développer de nouveaux produits et a renforcé leur engagement en développement durable. Voici l’histoire.
Attraction est chef de file canadien dans la conception, fabrication et identification de vêtements décontractés pour les marchés promotionnel et récréotouristique canadiens et américains. L’entreprise manufacturière est bien implantée dans la communauté de Lac-Drolet depuis 1980 et engagée en développement durable.
Julia Gagnon et son conjoint Sébastien Jacques acquièrent en 2017 l’entreprise fondée par les oncles de celle-ci et auxquels son père s’est joint, et prennent la relève, elle aux opérations et développement de produits, lui au développement des affaires et ventes.
Que faire avec une grande quantité de chutes textiles?
C’est en procédant à une analyse des secteurs générateurs de rebuts dans l’entreprise en 2019 que Julia Gagnon constate l’important volume de chutes textiles ou retailles issues de la production des vêtements, soit environ 28 000 kg par année :
« Quand on taille un t-shirt, 80 % de la matière première en moyenne est utilisée. Il reste un 20 % de petites pièces avec lesquelles on ne peut rien faire. Cela représente plusieurs sacs par semaine de belle matière éthique en parfait état qui s’en vont aux poubelles! Ça ne faisait pas de sens de jeter cela! »
Julia s’interroge alors sur la faisabilité de valoriser 100 % de ces rebuts textiles, une matière éthique faite de coton bio et de polyester recyclé. Quels sont les débouchés possibles à ces chutes textiles vouées à l’enfouissement? Y a-t-il une opportunité pour développer de nouveaux produits? En brainstorming avec son équipe, l’idée de faire des coussins écoresponsables dont la bourre serait issue de cette matière résiduelle s’est rapidement imposée comme la plus porteuse.
La pandémie est l’occasion de relancer le projet
Mars 2020, arrive la pandémie au Québec. Rapidement, les dirigeants convertissent les opérations de l’entreprise et rappellent leurs employés pour produire des masques. Cet événement leur fait prendre conscience de l’importance de l’environnement et de l’urgence d’agir.
C’est alors que le projet de coussins écoresponsables refait surface. On s’affaire donc au développement du produit qui prendra environ trois mois et fera surgir quelques défis! Au final, le produit vedette est un coussin dont la bourre et la housse extérieure sont constituées à 100 % de fibres recyclées. Plus spécifiquement :
- La bourre est composée de tissus 100 % récupérés des chutes textiles mixtes de première qualité (principalement du coton biologique et du polyester recyclé). Cette matière est découpée à l’aide d’une déchiqueteuse achetée spécialement pour cette fonction. Attraction confie ce travail à une entreprise à proximité de leur usine.
- La housse extérieure des coussins est en feutre fait de fibres recyclées mixtes provenant pour 80 % de vêtements usagés normalement destinés à l’enfouissement, et 20 % de fibres de polyester régénérées afin d’assurer la stabilité du produit. Les vêtements usagés proviennent de la région de Montréal, sont triés par couleur sur la Rive-Sud puis transformés en feutre en Beauce. Tout cela dans un rayon de moins de 600 km.
« Être soucieux de notre environnement a toujours fait partie de nos valeurs, mais la pandémie nous a fait prendre conscience de l’importance d’agir maintenant. La crise a accéléré nos projets écoresponsables en cours. »
Nouveau produit, nouveau marché
Mine de rien, le développement des coussins écoresponsables présente pour Julia et son équipe plusieurs enjeux de natures diverses.
Tout d’abord, il leur faut trouver un équipement, une déchiqueteuse, qui permettra de réduire en charpie les retailles de tissu. En pleine pandémie toujours, c’est en Chine qu’ils vont la trouver. Puis, lorsqu’est venu le temps d’en faire l’acquisition après plusieurs allers-retours pour réaliser des tests, le fournisseur exige le paiement entier de la machine avant livraison. « Un gros risque », admet Julia. Mais aujourd’hui, cet équipement, le seul à leur connaissance au Québec dans le secteur du vêtement, leur permettra de valoriser plus de 30 000 kg de retailles de tissu annuellement.
D’autre part, pour appuyer le volet social de cette stratégie d’écoconception, Julia choisit de confier la fabrication de la bourre en sous-traitance à Coup de Pouce, une OBNL de la région qui travaille au développement de l’employabilité de jeunes en difficultés d’apprentissage. Il s’agit d’une première pour Attraction habituée à produire tout sous le même toit et à en contrôler toutes les étapes.
Enfin, la commercialisation des coussins écoresponsables directement aux consommateurs a représenté un autre défi pour Attraction qui transige principalement en B2B et exigé un effort important en développement des affaires. Mais le fabricant est déjà reconnu pour sa marque de vêtements ÉTHICA commercialisée depuis 2007. Le coussin devient ainsi le premier produit d’une gamme d’articles écoresponsables pour la maison vendus sous cette appellation. Ils sont actuellement en vente sur le site transactionnel ÉTHICA et sur le site Fabrique 1840 de Simons.
« Ça fait 40 ans qu’on fabrique des t-shirts et des cotons ouatés. Du jour au lendemain, on offre des coussins en B2C alors que notre modèle d’affaires standard est en B2B. »
Les retombées du projet
Actuellement, ce n’est qu’une petite partie des 28 000 kilos de rebuts de coton bio et polyester recyclé annuels qui est valorisée dans la fabrication de coussins. L’objectif ultime pour Julia Gagnon : ne plus avoir à jeter de chutes textiles!
De manière générale, les bénéfices générés par la valorisation des chutes textiles transformées en coussins écoresponsables sont davantage environnementaux et sociaux qu’économiques. Selon la copropriétaire, la vente des coussins écoresponsables :
- Reçoit un très bon accueil auprès des consommateurs. La promesse qui leur est faite est la suivante : l’achat d’un coussin ÉTHICA permet de revaloriser les retailles de tissu générées par la production d’environ 50 vêtements.
- Renforce l’image de marque d’Attraction : des entrepreneurs innovateurs et écologiques, ce qu’ils étaient avant la pandémie mais qui le sont devenus davantage, précise-t-elle.
- Agit positivement auprès de nos employés. Eux aussi sont fiers car ils partagent les valeurs de l’entreprise, notamment en développant des produits qui ont un impact bénéfique sur l’environnement.
« Notre but c’est de mettre en marché un produit qui va trouver preneur, avec lequel on couvre nos frais et on fait un petit profit. Mais on n’est pas en train de créer une nouvelle entreprise à partir de cela. »
Un pas de plus dans leur engagement en développement durable
Depuis quelques mois, l’équipe de Julia a confié un mandat à Vestechpro, le centre de recherche et d’innovation en habillement, pour explorer d’autres débouchés possibles au matériel de bourre, par exemple dans l’industrie du rembourrage, des tapis, ou autres entreprises potentiellement utilisatrices de cette matière. Les premiers résultats sont prometteurs.
Ainsi, malgré la pandémie qui a fortement affecté les marchés et effectifs de l’entreprise, Julia considère que cette période difficile leur a donné l’élan pour développer un nouveau produit et renforcé leur engagement en développement durable.
D’ailleurs, l’entreprise est actuellement en démarche pour l’obtention de la certification B Corp, un mouvement d’entrepreneurs pour qui la responsabilité sociale de l’entreprise doit être incarnée dans sa raison d’être. Au Québec, cette prise de conscience et son application trouvent de plus en plus d’adeptes, particulièrement auprès d’une jeune génération en quête de sens.
« La crise a sérieusement secoué notre entreprise, mais nous sommes confiants qu’à terme, elle aura fait de nous des entrepreneurs plus innovateurs et écoresponsables. »
À ce jour, Attraction a rappelé au travail, dans le respect des consignes de la santé publique, ses 80 employés de production ainsi que la majorité de son personnel administratif. Merci Julia Gagnon pour ce vibrant témoignage.
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Louise Saint-Pierre se passionne tôt pour le développement de produits et collabore à l’IDP depuis la première heure. Son premier métier d’analyste en recherche marketing la prédispose à la communication sous toutes ses formes. Titulaire d’une maîtrise en psychologie sociale et d’un MBA en marketing, elle est curieuse de tout et admirative de l’énergie déployée par les entrepreneur(e)s.
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