Par l’équipe de l’IDP
L’avènement des produits numériques a amené au fil des ans de nouvelles pratiques en développement de produits. L’une d’elles, l’expérience utilisateur (UX), a pris de l’ampleur auprès des firmes de design. Que nous apporte de nouveau le UX? Point de vue de deux designers de la firme montréalaise ALTO Design.
Le design industriel a beaucoup évolué au cours des 20 dernières années. Il s’est opéré un important changement de paradigme qui se reflète dans les pratiques. Peu à peu, on est passé d’une orientation produit, où l’emphase était sur le développement des fonctions, à une orientation plus globale de service rendu par le produit, soit la recherche de solutions pour optimiser la performance du produit et l’expérience du client.
« Il y a 15 ans, on abordait davantage la conception d’un produit selon un axe fonctionnel. On accordait moins d’importance aux besoins, attentes et expérience des utilisateurs des produits, se remémore Olivier Patry, designer manager chez ALTO. Aujourd’hui, face à une clientèle de plus en plus exigeante, il faut apporter une réponse encore plus ciblée. »
Le design de l’expérience utilisateur
On attribue à Donald Norman, professeur émérite en sciences cognitives de l’Université de Californie à San Diego, d’avoir proposé l’idée d’une « conception centrée utilisateur » dans son ouvrage The Design of Everyday Things publié en 1988. Pour Norman, l’ensemble des caractéristiques et des besoins des utilisateurs doit être considéré lors du développement des produits. De fait, les utilisateurs sont les mieux placés pour évaluer le produit. Pour toutes ces raisons, ils doivent être impliqués activement dans le processus.
C’est surtout dans le contexte de développement de produits numériques que cette philosophie s’est popularisée et que le terme UX a été adopté. Spécifiquement, l’approche UX réfère à la qualité de l’expérience globale vécue par l’utilisateur et à la satisfaction qu’il en retire, et pas seulement de ce qui découle de l’usage du produit.
L’emphase sur l’expérience des utilisateurs invite le designer à identifier les problèmes existants et les besoins insatisfaits des utilisateurs, dès les premières phases d’un projet, et toutes informations utiles pour la conception. Jusqu’ici, les principes du UX ressemblent beaucoup à ceux de la Voix du client (VoC), pratique prônée dans le processus de développement de produits.
En raison de l’omniprésence des produits numériques dans nos vies, le UX est devenu une tendance majeure en développement de produits et cela va bien au-delà des objets numériques. « Il y a des produits, dans le médical par exemple, où la considération du UX est indispensable. Dès qu’il y a une interaction entre un produit et une personne, il existe une expérience utilisateur qui doit être prise en compte », précise Mariève Bouchard, designer UX chez ALTO.
Olivier Patry, instigateur du UX chez ALTO, considère également que cette approche peut s’appliquer à la majorité des produits physiques. « L’étiquette UX est récente, mais la pratique existe de manière informelle depuis longtemps; faire des petits tests à l’interne, parler d’ergonomie, demander l’avis des collègues sur une maquette, aller chercher le feedback, le ressenti. »
Mentionnons que cette tendance a vu apparaître un nombre croissant d’expertises jusqu’alors peu connues et qui abordent, chacune à leur manière, le « design de l’expérience ». Ceci va de « l’UX design » au « design de service », en passant par « l’UI design » et le « Design Thinking ». Embrassant un large champ de compétences, l’approche UX est plutôt multidisciplinaire. Le designer UX travaille de concert avec plusieurs corps de métier (marketing, rédaction, programmation, design graphique, ingénieur) et demeure impliqué dans le projet du début à la fin.
Designer industriel ayant acquis une expérience des bonnes pratiques et des outils en UX design, Mariève n’hésite pas à dire que le titre peut être trompeur : « L’appellation designer UX porte à croire que cette personne est la seule responsable de la retombée de l’usage du produit conçu. Oui, c’est son rôle de défendre l’utilisateur tout le long du processus. Mais à mon sens, le design UX est multidisciplinaire! Il met en relation toute une équipe de designers, graphistes, techniciens, ingénieurs et toutes les parties prenantes du projet avec leur expertise. J’aurais alors tendance à définir mon rôle comme une designer en recherche utilisateur et en conception d’interface (UI). »
L’enjeu du UX : mesurer le ressenti de l’utilisateur
A priori, la « conception centrée sur l’utilisateur » ou UX ne nous apparait pas comme une nouvelle pratique. Les chefs de produit et les gestionnaires de développement de produits dans les entreprises qui excellent reconnaissent l’importance d’intégrer le VoC aux différentes phases du processus de développement de produits. La voix du client est au cœur des bonnes pratiques depuis bon nombre d’années : définition des besoins-clients, analyse fonctionnelle, observation contextuelle, étude de la valeur du produit, validation de concepts, etc.
Mais ce qui est nouveau dans le UX, c’est cette volonté de capter des données subjectives telles que l’impact émotionnel ressenti par l’utilisateur cible dans son rapport avec le produit et plus globalement dans l’expérience que cela lui fait vivre. À notre avis, cette démarche va un pas plus loin que les techniques plus traditionnelles et élargissent le champ des pratiques du VOC et du design industriel.
Pour capturer ce ressenti, de nouveaux outils issus de la psychologie cognitive ont fait leur apparition. Aux techniques déjà connues des entrevues individuelles et groupes de discussion, d’observation contextuelle et d’études ethnographiques, sont apparues des approches développées spécifiquement pour le numérique telles que : le parcours de l’utilisateur (customer journey), la carte d’empathie, les tests utilisateurs, le A/B Testing (voir l’encadré).
Malgré l’accessibilité de ces nouveaux outils, la recherche du ressenti est une pratique exigeante qui requiert des compétences, voire une sensibilité certaine pour identifier et décoder des émotions, des attitudes verbalisées ou non par l’utilisateur. « J’admets que c’est difficile d’aller chercher l’émotion chez les gens quand on teste quelque chose avec eux. C’est vraiment en les observant, en portant attention au non verbal qu’on comprend mieux ce qu’ils vivent réellement », affirme Mariève, designer UX.
Les designers doivent être capables de capter les signaux et réactions des utilisateurs, les interpréter avec justesse et faire le tri des constats. Morale de l’histoire, il faut en prendre et en laisser. « C’est l’expertise du designer, je dirais même de l’équipe, de trouver une solution qui soit pertinente et viable. Ça demande de l’empathie, de l’expérience à décoder les gens », ajoute-t-elle.
Pourquoi s’intéresser au UX aujourd’hui?
Approche basée sur l’empathie, le UX vise à accroître la valeur des produits et services développés par nos entreprises en agissant sur les nombreux facteurs qui ont le potentiel d’influencer la perception des utilisateurs. Si ce dernier ne perçoit pas l’utilité de votre produit, qu’il n’arrive pas à l’utiliser avec facilité ou qu’il n’en retire aucune satisfaction ou plaisir, le projet a peu de chance de succès. C’est pourquoi le designer UX s’assure de garder l’utilisateur au centre des décisions de conception.
« Quand je suis arrivé chez ALTO, j’ai voulu démontrer la valeur de cette pratique pour la systématiser et l’offrir à nos clients. Le numérique a imposé au design physique des outils et une certaine rigueur dans la démarche. Ça nous prenait des gens familiers avec ces bonnes pratiques et les outils du numérique. C’est entre autres pour ces raisons que Mariève a été embauchée », nous explique Olivier, designer manager.
Les gains et les apports du design UX sont multiples. Un bon design améliore la crédibilité, la performance, la satisfaction du consommateur et sa loyauté. Un bon design a aussi un impact positif sur l’investissement : selon Forbes, pour chaque dollar investi, on peut s’attendre à un retour de 100 $. Si vous voulez davantage vous en convaincre, la lecture de l’ouvrage « Tragic Design » est pour vous. On y compte plusieurs histoires d’horreur occasionnées par un mauvais design!
Freins à l’adoption du UX design
Néanmoins, il y a encore beaucoup de gestionnaires qui font l’économie d’une vraie démarche de conception intégrant les utilisateurs ou tout simplement des pratiques du VoC. Pour plusieurs, faire l’effort de connaître les comportements des utilisateurs et de concevoir une expérience adaptée à leurs attentes est perçue comme une dépense accessoire.
Souvent, ces gens présupposent bien connaitre leur clientèle « je sais ce que mes clients veulent » ou bien ils doutent de la valeur de l’exercice et diront « de toute façon, les clients ne savent pas ce qu’ils veulent. »
Les designers dans les firmes de design rencontrent parfois un autre argumentaire. « Certains clients pensent que, parce qu’on est designer, on sait ce qu’il faut faire. Oui, on a l’instinct, on est en mesure de voir les tendances, les produits exemplaires, mais concrètement ce n’est pas nous qui devons valider le produit », nous explique Mariève.
Cela dit, de l’avis des deux designers, ce sont de loin les coûts qui constituent le frein le plus important. Il est vrai que le recours à des services externes pour le recrutement d’utilisateurs selon des critères bien définis, l’intervention des spécialistes, la cueillette et l’analyse des données, ça coûte cher.
« Quelques clients vont préférer que certains exercices tels les tests utilisateurs se fassent à l’interne. Ce n’est pas mauvais, mais c’est insuffisant et risqué. Cependant, faire des tests utilisateurs en ayant recours au recrutement à l’externe, ça coûte facilement quelques milliers de dollars », précise Olivier Patry.
Le développement d’une sensibilité
On ne peut que se réjouir que les designers et développeurs de produits intègrent cette nouvelle compétence, cette « sensibilité » à l’utilisateur dans le processus de conception. Il est à prévoir que l’expérience utilisateur s’enrichira de nouvelles pratiques et de nouveaux usages qui créeront peut-être de nouvelles disciplines.
Même si la pratique du UX tombe sous le sens par sa pertinence, cette inclusion de l’utilisateur dans le processus de développement de produits a un coût. Il faudra bien qu’on parvienne à dépasser cet obstacle pour en apprécier toute la valeur des retombées.
Quelques outils du UXEntrevues individuelles et groupes de discussion : il n’y a rien de plus efficace que de parler aux utilisateurs. Les entrevues individuelles ou groupes de discussion permettent de recueillir des informations qualitatives sur les habitudes d’utilisation, les opinions, les frustrations ou les désirs des personnes. Observation contextuelle : consiste à observer les comportements des utilisateurs directement sur le lieu de l’activité. Cette technique permet de comprendre les modes de raisonnement et les activités réelles des utilisateurs en prenant en compte la dimension culturelle liée au contexte. Études ethnographiques (journal de bord) : cette approche permet de recueillir des données qualitatives auprès des utilisateurs sur de plus longues périodes, des jours ou des mois. On demande aux participants de noter leurs expériences dans un journal de bord. Personas : ce sont des profils d’utilisateurs (modèles) que l’on crée sur la base des résultats de recherche en entrevues et/ou en groupes. On représente ainsi les différentes typologies d’utilisateurs des produits ou services que l’on conçoit. Parcours utilisateur : désigne le chemin type d’un client dans ses interactions avec le service/produit. Les résultats transposés sur une carte présentent les points d’intérêt et de friction de l’utilisateur dans ses interactions avec le service/produit. Carte d’empathie : c’est une synthèse visuelle des propos, pensées, actions et ressentis d’un utilisateur – ou segment d’utilisateurs – d’un produit. L’objectif est d’accéder à une compréhension partagée des utilisateurs ou clients d’un produit. Tests utilisateurs : méthode qui permet d’identifier les aspects positifs et négatifs dans l’expérience d’un utilisateur ciblé avec un produit existant ou un prototype. En présence d’un modérateur qui observe et prend des notes, l’utilisateur réalise diverses tâches. A/B Testing est une technique qui consiste à proposer plusieurs variantes d’une même page afin de déterminer la version qui donne les meilleurs résultats. Cette méthode rapide permet de comparer deux versions d’un écran auprès d’un grand nombre de personnes. |
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