Par l’équipe de l’IDP
Révision mars 2024 : changement du nom de la firme
Le prototypage a toujours fait partie intégrante du processus de conception et d’ingénierie, mais les professionnels lui trouvent aujourd’hui de nouvelles applications pour profiter pleinement du potentiel des prototypes. Nous sommes allés à la rencontre de deux designers industriels de la firme CLEIO (anciennement NOVO) pour comprendre l’usage qu’ils en font dans leur pratique.
La pression est bien réelle sur les entreprises pour augmenter le nombre de nouveaux produits commercialisés, accroître leur pertinence auprès des usagers et réduire le temps nécessaire pour les mettre en marché. C’est ainsi qu’on a vu apparaitre de nouvelles approches, telles le Lean Startup, le Design Thinking qui mettent de l’avant l’expérimentation par rapport à la planification méticuleuse, le feedback du client à l’intuition et un design itératif du produit à un produit le plus achevé possible.
Ces pratiques répondent à l’impératif « Fail Fast, Succeed Sooner » de David Kelley, fondateur de la firme de design IDEO. Et pour éviter d’investir temps et argent en pure perte, l’utilisation de prototypes est devenue essentielle en développement de produits. Pour tester des idées et des concepts auprès de ses clients, mesurer ce qui fonctionne ou non avec une première ébauche de produit, on utilise des prototypes, toutes sortes de prototypes.
Le prototypage des idées d’abord…
Il n’y a pas si longtemps dans les écoles d’ingénieur on apprenait aux étudiants à penser et à planifier en profondeur avant de commencer à construire. Confrontés à des produits parfois complexes, les designers ont amené une nouvelle règle : désormais, il ne suffit pas de penser pour construire mais il faut construire pour penser.
En donnant corps au prototype, les difficultés imprévues seront identifiées plus tôt et les coûts liés aux modifications ultérieures seront ainsi évités. Ce cycle itératif de réflexion et de construction permet aux concepteurs de produits/services d’apprendre rapidement par l’expérience.
Chez CLEIO, (anciennement NOVO), firme d’experts-conseils en stratégie, design et innovation de produits de Trois-Rivières, François Gélinas, directeur design industriel et Maude Leclerc-De Guire, UX designer partagent cette philosophie :
« On accorde une grande importance aux maquettes, à tout ce qui est fait à la main. Il faut rapidement mettre les idées sur papier, prendre des ciseaux, faire de l’origami. Quand le concept est un peu abouti, on peut faire des mécanismes en bois, jouer avec des LEGO, de la mousse, de la colle chaude, tout ce qui nous donne la possibilité de manipuler et d’expérimenter. »
Ce principe vaut également pour le développement de produits numériques, sites web, applications mobiles, objets connectés, comme nous le précise Maude Leclerc – De Guire, dont c’est le champ d’expertise :
« On peut faire des prototypes à partir de post-it, de vidéos qui contextualisent pour tester le contenu, la hiérarchie des informations, la fluidité de la navigation, avant d’aller trop loin dans le processus. C’est là que le prototype prend tout son sens. »
…puis tout au long du processus de développement de produits
Le prototypage a toujours fait partie intégrante du processus de conception et d’ingénierie, mais les professionnels lui trouvent aujourd’hui de nouvelles applications pour profiter pleinement du potentiel des prototypes. Par la matérialisation de l’idée de produit en maquette, d’un prototype fonctionnel ou non, cela permet de « communiquer » à chaque étape du développement de produits, de la conception à la mise en marché du produit.
Le prototype permet avant tout de tester des hypothèses et de répondre à des interrogations sur le concept. Les prototypes doivent donc être réalisés rapidement et être juste assez évolués pour répondre aux questions qui se posent, au moment considéré. Avant de faire un prototype, il faut se demander à quelle question on veut répondre et, idéalement, tester une chose à la fois.
L’appareil médical Free02™
CLEIO (anciennement NOVO) a développé en 18 mois un appareil médical qui automatise la distribution d’oxygène requise pour les patients atteints de troubles respiratoires, en fonction du niveau de saturation de l’oxygène dans leur sang. Grâce à cette régulation automatique, il a été démontré que le patient bénéficie d’un meilleur temps de récupération. Voici le mandat de CLEIO (anciennement NOVO) :
- Identifier les besoins et exigences des clientèles cibles;
- Réaliser la conception logicielle, matérielle et industrielle du boîtier et de ses composants électroniques;
- Développer, tester et valider un prototype fonctionnel. Y inclure des fonctions de sécurité. Démonstration de la faisabilité de l’interface avec une surveillance du tableau de bord.
François Gélinas, directeur design industriel, nous relate les différentes étapes et prototypes mis au point tout au cours du développement de cet appareil médical.
Définition du produit et validation de concepts
Cette première étape a pour but de définir l’aspect global du produit, à quoi cela pourrait ressembler. Avant même de travailler sur le CAD, ils ont fait une maquette avec un bloc de mousse sur lequel était collé un écran.
« Il s’agit d’intégrer du matériel dans la phase de brainstorming, de concrétiser l’idée. C’est très payant cette étape-là. On intègre le client dans le processus et on travaille avec lui. Nous avions un volume, un objet concret qui nous permettait de voir à quoi ça pourrait ressembler.»
Une fois le produit mieux défini, des modélisations préliminaires des concepts et des maquettes avec des fonctionnalités limitées apparaissent. Cette étape de validation permet de sélectionner le concept qui offre le meilleur potentiel.
Développement, essais et validation
Au cours du développement, différents prototypes sont élaborés selon ce qu’on cherche à valider : les fonctionnalités du produit, son ergonomie, les réactions des usagers, les coûts de fabrication, l’assemblage des pièces, l’outillage requis, etc. « Il y a des prototypes de validation formelle qui ne sont pas très beaux et ceux pour validation auprès des usagers qui eux doivent être parfaits. »
« Plus le produit est complexe en termes de pièces et de contraintes, plus on va vouloir différents prototypes pour se valider, surtout si cela coûte très cher en outillage. Ainsi, avant d’investir des milliers de dollars dans des moules pour la fabrication, le client va être intéressé à avoir un P1 (fonctionnalités), un P2 (apparence et fonctionnalités) et peut-être un P3 (l’ultime prototype). »
Dans le cas de l’appareil médical, le directeur design industriel de chez CLEIO (anciennement NOVO) nous cite une séquence de prototypes qui ont été réalisés :
- Un prototype « showroom » qui ressemble à s’y méprendre au produit final mais qui n’est pas fonctionnel. Pour discussion sur la fabrication des types de pièces avec le fabricant.
- Un prototype fonctionnel pour valider tous les mécanismes et l’ergonomie d’utilisation auprès des différents types d’usagers (infirmières, médecins, ingénieurs biomédicaux).
- Des prototypes pour se faire pré-certifier (norme CE) et pour d’autres tests tels que compatibilité électromagnétique, tests environnementaux, test d’étanchéité, etc.
« Il arrive souvent avec les produits physiques de devoir faire un développement en parallèle pour obtenir des prototypes de bonne qualité. Ces prototypes servent à définir les étapes de fabrication et à finaliser les détails pour aller en production. »
Et pour les produits numériques, qu’en est-il?
Maude Leclerc-De Guire, UX designer chez CLEIO (anciennement NOVO) nous a entretenu des particularités du prototypage dans le développement de produits numériques. Si les raisons de faire des prototypes sont sensiblement les mêmes que pour les objets physiques, les contraintes et les coûts diffèrent.
« Je peux aller très loin dans la représentation de l’application que je veux offrir à un client sans me soucier des matériaux, de la production, du temps de fabrication. Je n’ai pas à faire de demandes de soumission sur le coût des prototypes, par exemple. Ça fait partie de mon développement. »
Comme pour les produits physiques, dès le début, l’utilisation de dessins et d’images pour définir la problématique, la définition des éléments à prendre en compte dans une maquette permettent de discuter avec le client. L’étape suivante consiste à rechercher des informations pour comprendre le contexte d’utilisation et élaborer des personas (représentation type pour chaque catégorie d’usagers ciblés).
Le principal défi dans le développement de produits numériques, c’est l’expérience usager, le fameux User Xperience (UX). C’est ce qui explique l’utilisation de prototypes à différents niveaux d’évolution au cours du développement. Car, comme nous l’avons dit précédemment, il s’agit de tâter tôt le pouls des usagers avant d’aller trop loin dans le processus.
« Par exemple, au lieu de faire un prototype « haute-fidélité » avec le « look and feel » final, on peut en faire un de « basse fidélité » et se concentrer sur le contenu, les informations, la hiérarchie, la fluidité, la navigation. »
Les tests de validation des produits numériques, dont le test d’usabilité, génèrent des données qui permettent d’améliorer l’expérience usager. Les designers peuvent ainsi bonifier le produit en procédant par itérations. Ces boucles sont sans fin et les coûts nettement moindres que pour des objets physiques.
« Le prototype, c’est aussi de la matière pour communiquer avec les clients. Pour qu’ils comprennent ce qu’on fait, comment on avance dans le développement. Ça nous permet de valider une expérience qui n’est pas tangible. Ça vaut la peine de développer différents outils, méthodes pour recueillir des données. »
L’avenir du prototypage
Selon François Gélinas et Maude Leclerc-De Guire, les techniques de prototypage se caractérisent aujourd’hui par leur plus grande accessibilité. L’évolution des technologies, la disponibilité et les coûts abordables de l’impression 3D, les matériaux de plus en plus spécialisés permettant de tester les propriétés mécaniques, sont autant de facteurs qui contribuent à la démocratisation de cette pratique en développement de produits.
« Aujourd’hui, les clients qui pénètrent dans un bureau de design s’attendent à voir de l’équipement pour réaliser des tests rapidement, sans devoir aller à l’externe. D’autres clients viennent nous voir avec leur propre prototype dans les mains. Les gens sont de plus en plus exigeants par rapport à cela. Avant, c’était hyper spécialisé; maintenant, c’est accessible à tous. » – François Gélinas
Le prototypage a définitivement fait ses preuves pour accélérer l’innovation, réduire le temps et les coûts de développement et améliorer l’adéquation des produits avec les besoins clients. Et le prototypage démocratise indirectement les modes de fabrication. De fait, il n’est plus obligatoire de nos jours d’avoir une usine pour fabriquer des produits!
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