par Bertrand Derome, B.D.I., ADIQ, directeur général de l’IDP
Depuis peu, nous voyons des gestes concrets de la volonté de se débarrasser des plastiques à usage unique. Parviendrons-nous à juguler le problème des déchets plastiques? Les alternatives biodégradables sont-elles la solution? Regard sur ces matériaux relativement nouveaux sur les marchés et en nette progression.
Pour lutter contre le fléau des produits de plastique et emballages à usage unique, tels que sacs d’épicerie, pailles, ustensiles, barquettes qui se retrouvent le plus souvent à la poubelle, nous avons de plus en plus recours aux bioplastiques faits à partir de matières végétales. Devons-nous remplacer tous les emballages actuels par du bioplastique? Faisons-nous la bonne affaire?
En croissance depuis une quinzaine d’années, les bioplastiques sont souvent présentés comme des solutions plus écologiques que les plastiques traditionnels : réduction des gaz à effet de serre, utilisation de ressources renouvelables et biodégradation. Qu’en est-il réellement? Quels sont les véritables enjeux du bioplastique?
« Des » bioplastiques
Le terme générique « bioplastiques » désigne à la fois des plastiques biosourcés, c’est-à-dire fabriqués à partir de composants naturels renouvelables, en totalité ou en partie, ou bien des matières plastiques biodégradables. Or, certaines matières biodégradables peuvent parfois provenir de ressources fossiles. Et pour ajouter à la confusion, certains plastiques biosourcés ne sont pas biodégradables.
En clair, on s’entend pour reconnaitre trois grands groupes de bioplastiques :
- Biosourcés et non biodégradables, comme le polyéthylène biosourcé (PE ou Bio-PE) ou les polymères de performance technique biosourcés, comme les polyamides (PA) ou les polyuréthanes (PUR) biosourcés;
- Biosourcés et biodégradables, comme l’acide polylactique (PLA), les polyhydroxyalcanoates (PHA), le poly(butylène succinate) (PBS), ou d’autres polymères à base d’amidon;
- D’origine fossile et biodégradables, comme le polybutylène adipate terephthalate (PBAT).
Certains bioplastiques peuvent combiner ces deux propriétés (biosourcé et biodégradable), mais c’est loin d’être toujours le cas. Selon l’association European Bioplastics, sur 2,05 millions de tonnes de bioplastiques produits dans le monde en 2017, moins de la moitié était biodégradable (880 000 tonnes).
Le marché du bioplastique est en croissance depuis les années 2000; forte au début du siècle puis ralentie à cause du bas prix du pétrole, son concurrent principal. Ce retour du bioplastique est dû à la recrudescence de l’exploitation du pétrole et aux préoccupations environnementales.
L’emballage, premier domaine d’application des bioplastiques, représente 66 % des déchets de plastique non recyclés de la planète. En 2017, 58 % des bioplastiques produits dans le monde étaient utilisés dans l’emballage, largement devant le textile (11 %), les biens de consommation (7 %), l’automobile et autres industries de transport (7 % également).
Le PLA (acide polylactique) est le bioplastique le plus commercialisé. Sa production industrielle nécessite l’usage de biotechnologies avancées. Son utilisation intervient dans différents secteurs, de l’emballage à la chirurgie. Le PLA est un bioplastique biodégradable. Par rapport aux plastiques issus du pétrole, le PLA est plus cher en moyenne et ses propriétés techniques sont moindres.
Les capacités de production mondiales de bioplastiques se situent majoritairement en Asie
(56 %), qui est aussi la principale région de fabrication des plastiques traditionnels, devant l’Europe (18 %) et l’Amérique du Nord (16 %).
Un problème majeur : la gestion de leur fin de vie
Comme on l’a vu, le terme bioplastique désigne deux réalités distinctes : l’origine de la ressource (biosourcé) et la gestion de sa fin de vie (biodégradable et compostable). Et c’est cette dernière qui pose problème. Comment le consommateur peut-il savoir s’il s’agit d’un bioplastique recyclable, compostable ou biodégradable? Et pour compliquer le tout, certains bioplastiques d’origine végétale ne sont pas recyclables avec les plastiques traditionnels.
Même si selon plusieurs experts, la meilleure façon de se débarrasser du plastique demeure le recyclage, c’est impossible de le faire actuellement avec les bioplastiques. Car le plastique d’origine végétale n’est pas conçu pour être mélangé avec les autres plastiques (nos 1, 2, 7, etc.). Le problème, c’est sa dégradation trop rapide par rapport à d’autres plastiques récupérés et potentiellement utilisés pour fabriquer des objets plus durables qu’un simple emballage. De plus, le bioplastique pourrait contaminer le plastique durable et amoindrir la qualité de celui-ci.
C’est ainsi que la plupart des emballages bioplastiques souillés, comme les barquettes, les assiettes, le film alimentaire ou les couverts, se retrouvent au dépotoir en fin de vie. Les voies possibles telles que recyclage, compostage ou gazéification sont soit inexistantes, soit inadaptées aux nombreux types de bioplastiques.
Et comment savoir si ces matériaux bioplastiques sont dégradables ou compostables? À l’heure actuelle, il n’existe aucune réglementation pour identifier les types de bioplastiques disponibles sur le marché. Entre plastiques oxodégradables, biodégradables ou compostables, difficile de s’y retrouver, car les fabricants ne sont pas tenus de l’indiquer.
En Europe, la norme EN 13432 est le seul moyen de s’assurer qu’un bioplastique est biodégradable et compostable. En Amérique du Nord, c’est la norme ASTM-6400-99. Mais comme les tests sont effectués dans des conditions de température et d’humidité contrôlées, cela ne veut pas dire qu’un bioplastique est compostable dans notre contenant domestique. Misère!
Malgré tout, une alternative intéressante?
Comme on le sait, le plastique est un énorme consommateur de pétrole et de gaz naturel, à la fois comme matière première et comme énergie nécessaires à sa fabrication et à son recyclage. La production de plastique pèse pour 3 % dans les émissions de CO2 mondiales. L’intérêt du bioplastique réside essentiellement dans le caractère renouvelable des ressources utilisées pour sa fabrication.
A la différence d’un plastique traditionnel fait à partir de carbone fossile, le bioplastique peut être produit en partie ou en totalité de carbone végétal, provenant de plantes entières, d’amidon extrait des céréales (blé ou maïs) ou de pomme de terre, de glucose dérivé de l’amidon ou d’huile végétale.
La production et l’utilisation des bioplastiques est généralement considérée comme une activité durable, en comparaison avec la production de plastique issue du pétrole : réduction des combustibles fossiles comme source de carbone et de l’effet de serre net lors de la biodégradation. C’est pourquoi les bioplastiques ouvrent une nouvelle ère dans les technologies de l’emballage et l’industrie.
Pour pouvoir comparer la performance environnementale des emballages alimentaires en bioplastique avec leurs pendants conçus en plastique traditionnel, on a recours à l’analyse du cycle de vie (ACV) comme outil pour mesurer le type d’énergie utilisé, de la mise en culture de la matière première jusqu’au procédé industriel de fabrication. Actuellement, peu d’études ont été publiées sur le sujet. C’est pourquoi il y a si peu d’information permettant de bien comprendre l’impact environnemental des bioproduits, sauf pour les sacs de caisse, communément appelés sacs d’épicerie.
Mais le véritable frein à l’expansion des bioplastiques, ce sont les coûts trop élevés. Dans une logique de marché, la performance et la faible empreinte écologique seules ne suffisent pas à démocratiser un produit. Leurs coûts de production restent un obstacle. Les plastiques compostables seraient deux à trois fois plus chers que les plastiques traditionnels; quant aux plastiques biosourcés, ils sont de 30 à 50 % plus chers.
Enfin, l’utilisation de terres arables pour produire ces matériaux biodégradables peut constituer un dommage collatéral pour les populations dont le maïs est la base de leur alimentation. Une chose est certaine : issu du blé, du maïs ou de la pomme de terre, le bioplastique pourrait à terme entrer en concurrence avec la production alimentaire. Cependant, certaines entreprises et centres de recherche s’intéressent aujourd’hui à la production de bioplastiques faits à partir de résidus agricoles et forestiers afin d’éviter de faire concurrence à la filière alimentaire.
Un avenir prometteur
Selon l’association European Bioplastics, la production globale de bioplastiques représentait l’an dernier moins de 0,75% du marché mondial des polymères. Malgré cette faible part de marché, cet organisme prédit une croissance de 19 % des bioplastiques dans le monde, sur la période 2017-2022, soutenue par une plus grande prise de conscience environnementale des gouvernements, des entreprises et des consommateurs.
Soyons optimistes! Une réglementation favorable, une moins grande dépendance au pétrole pour les bioplastiques biosourcés et des innovations ayant une incidence positive sur les prix sont des facteurs qui contribueront à une croissance des ventes. Bien sûr, il faudra mieux structurer la gestion de la fin de vie des bioplastiques pour ne pas contribuer à accroitre les matières résiduelles, le véritable fléau.
De plus, comme les plastiques traditionnels dérivés du pétrole ont bénéficié de décennies d’améliorations techniques par rapport à des polymères relativement récents tels que le PLA, les propriétés des formulations de PLA pourront être améliorées.
Et pour contrer les coûts de production actuellement trop élevés, la hausse des volumes, l’amélioration des procédés de fabrication et la hausse des prix du pétrole devraient permettre de les rendre à terme plus compétitifs.
Sources consultées et pour en savoir plus
- Vidéo : « 5 minutes pour tout savoir sur les bioplastiques »
- « L’industrie du plastique se met au vert »
- « L’envers du bioplastique », Nathalie Vigneault
- « Bioplastiques biodégradables, compostables et biosourcés pour les emballages alimentaires, distinctions subtiles mais significatives », Richard Lapointe
- Le Devoir : « Abandonner le plastique des emballages, mais par quoi le remplacer? »
Quelques experts identifiés dans le domaine
- Sylvain Allard, directeur du programme de design graphique et spécialiste de l’emballage, Université du Québec à Montréal (UQAM)
- Michel Huneault, spécialiste des bioplastiques, Institut des matériaux industriels (CNRC)
- Bruno Ponsard, directeur, Institut de technologie des emballages et du génie alimentaire (ITEGA)
- Pascal Vuillaume, directeur de la recherche en plasturgie, Centre de technologie minérale et de plasturgie (CTMP), affilié au Cegep de Thetford Mines
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