Mickaël Desmoulins, créateur et responsable du Creative Lab au Groupe Renault en France, était de passage au Québec en mai dernier, à l’invitation de l’IDP. Une présentation de son « Lab », dédié à l’innovation, nous fait mieux comprendre comment une telle structure peut redonner de l’agilité aux entreprises dans leurs façons de faire.
L’innovation, une démarche collective
Ces dernières années ont vu apparaitre un nouveau phénomène dans les grandes entreprises : la création d’espaces autonomes dédiés à l’innovation. Que ce soit sous le vocable de fab lab, creative lab, i-lab, living lab, ces laboratoires peuvent prendre différentes formes selon les objectifs poursuivis : cellules de veille sur les usages ou nouvelles technologies, collecte d’idées en rupture, séances d’idéation, résolution de problèmes opérationnels ou stratégiques, vitrine de communication, etc.
La mise en place d’un Lab est souvent la conséquence de frustrations vécues à l’interne : manque d’idées innovantes, temps de développement trop longs, manque d’agilité dans les processus de l’organisation, travail en silo, etc. En matière d’innovation, la nécessité que les gens de plusieurs départements travaillent ensemble n’est plus à démontrer. En 2018, l’innovation se veut une démarche collective et transversale.
Parallèlement, les entreprises s’ouvrent pour établir des interactions fructueuses et de nouvelles formes de collaboration avec des partenaires externes, que ce soit des clients et usagers finaux, des fournisseurs, d’autres entreprises et startups. Ainsi, l’intensification de l’innovation ouverte a généré un besoin d’organisation, de méthodes, d’outils et de lieux dédiés. Les labs sont alors apparus comme un bon moyen pour faire tomber les barrières et permettre à des personnes éloignées de la démarche innovation d’y participer et de se l’approprier. S’agit-il d’un effet de mode ou d’un réel levier à l’innovation?
Un lab d’innovation, à quoi ça ressemble?
Les labs d’innovation sont des lieux d’expérimentation, un espace autonome organisé et équipé pour permettre à la créativité de s’exprimer et de se transformer en réalisations concrètes. C’est le lieu où l’on retrouve le plaisir du « faire », et en particulier du faire ensemble. On y trouve typiquement des imprimantes 3D, des machines à découpe laser, des établis et des fers à souder permettant de créer très vite des prototypes et de pouvoir les tester.
Souvent, comme c’est le cas au Groupe Renault, le Lab est à la fois un espace de créativité et un espace de fabrication numérique. Dans ces lieux, on a droit à l’erreur et au tâtonnement considérés contre productifs dans la culture entrepreneuriale traditionnelle. Il n’y a pas de hiérarchie en ces murs, seulement des individus désireux de mener des projets de façon nouvelle. Et on y travaille sur une grande variété de sujets, du simple au plus exploratoire.
Les labs peuvent être plus ou moins ouverts à d’autres joueurs que les seuls employés de l’entreprise. Ils peuvent réunir des clients, des fournisseurs ou d’autres acteurs dans des projets de co-développement. Certains labs travaillent avec d’autres labs d’entreprise sur des sujets à fort potentiel, parfois même extérieurs au domaine d’activités de l’entreprise.
Pourquoi un lab d’innovation? Le cas du Groupe Renault
Relevant de la direction de l’Innovation de l’ingénierie, Mickaël Desmoulins* est le créateur et responsable du Creative Lab du Groupe Renault depuis 2013. En implantant ce lab, le responsable s’est donné comme mission de « booster le potentiel créatif du groupe et de l’accompagner dans le développement d’idées innovantes ». Au fond, son rôle est de créer un contexte favorable à l’innovation dans l’entreprise pour que les équipes puissent innover.
« Le Creative Lab, c’est un espace semi-structuré, un espace de liberté avec contraintes, un mélange d’agilité et de structure. C’est la capacité à accéder rapidement aux ressources, aux bonnes personnes, à contourner les procédures et à lever tous les freins au quotidien et les contraintes administratives. Notre objectif c’est d’apprendre à collaborer de manière très transversale et de casser le travail en silo avec des méthodes de design pour mettre le sens et la valeur au cœur de la démarche. »
Au Creative Lab de Renault, outre des méthodes et des outils, on y pratique le partage de ressources, de compétences et de savoirs ; on y dispense des formations et un accompagnement dans des projets innovants venant de toute l’entreprise ; le prêt d’espace favorable à créativité et à la collaboration ; la mise en relation avec des réseaux interne et externe. Grâce à un dispositif d’animation, le responsable s’assure de faire de cet espace de travail collaboratif, un lieu vivant.
Le Groupe Renault, avec Nissan et Mitsubishi comme partenaires, c’est huit marques de voitures, 72 000 sites industriels, 13 000 points de vente et 450 000 employés. « C’est un immense paquebot difficile à faire bouger » selon les termes mêmes de Mickaël Desmoulins.
Le marché de l’automobile est un milieu hyper concurrentiel en pleine mutation. Les pressions de l’environnement physique et économique, l’évolution technologique des modes de fabrication et le .contexte d’usage de l’automobile, caractérisé davantage par le partage que la possession, tous ces changements ont un impact direct sur l’industrie et le modèle économique du Groupe Renault.
Un tel paradigme va forcément se répercuter dans les façons de faire l’innovation, dans l’approche et l’organisation du travail. Pour gagner en flexibilité et en rapidité d’exécution, Mickaël Desmoulins est d’avis qu’un modèle horizontal sans hiérarchie est préférable puisqu’il facilite la prise d’initiatives. « On entre alors dans un mode de fonctionnement par réseaux, communautaire plutôt que hiérarchique. En travaillant avec des entreprises telles Airbus et Seb par exemple, on est davantage dans une logique d’écosystèmes entre entreprises qui ont des Labs et qui peuvent nous apporter des solutions », de préciser le responsable du Creative Lab.
Le Lab d’innovation de Renault, c’est aussi la promotion d’un système d’intrapreneuriat, qui rend possible un partage de risques et des bénéfices entre individus de l’entreprise. Par exemple, un petit véhicule électrique créé dans leur Lab est devenu la propriété de Renault, sans que ce projet soit planifié.
En 2017, sur 760 projets, neuf ont été sélectionnés et trois ont obtenu du financement pour aller plus loin.
Le Creative Lab de Mickaël est rattaché à un Technocentre (ingénierie) où travaillent quelque 12 000 personnes. Aujourd’hui, le Groupe Renault compte un réseau à travers le monde de 15 labs semblables, tous rattachés aux sites d’ingénierie. Ces labs sont ouverts à tout salarié et pour tout type de projet. Ce sont des lieux connectés avec les écosystèmes à l’extérieur de l’entreprise, d’autres industriels et des acteurs locaux.
Et quant à l’avenir des Labs, Mickaël Desmoulins se dit confiant dans leur potentiel : « Si nos Labs font leur travail de connexion avec les écosystèmes locaux, les universités, des réseaux de start-up, on disposera d’un potentiel énorme pour réinventer l’entreprise. Avec un fonctionnement libéré du poids de la hiérarchie et des processus plus spontanés et dynamiques, nos Labs seront animés de collaborateurs épanouis pouvant réaliser plein de choses, plaçant le « faire » au cœur de la conception. »
En conclusion
Dans une perspective d’innovation ouverte, le modèle des labs d’innovation est attrayant particulièrement pour les valeurs véhiculées : considération des personnes dans leur globalité, abolition des liens hiérarchiques, tout le monde sur un même pied d’égalité, l’agilité plutôt que la lourdeur des systèmes et procédures, la valorisation des personnes et des talents, la connexion à différents écosystèmes externes, etc.
Toutefois, bien des questionnements demeurent quant à la mise en application et au fonctionnement d’un lab d’innovation, p. ex. la mesure du taux de succès des innovations commercialisés, la gestion de la confidentialité, la pression du « pay back », le financement des activités, etc. Si ce type de structure n’est pas magique pour réussir l’innovation dans son entreprise, les valeurs qui président à leur création peuvent être inspirantes pour améliorer ce processus.
Si vous avez expérimenté certaines formules ressemblant de près ou de loin à l’établissement d’un lab d’innovation, faites-nous connaitre votre expérience. Écrivez-nous ou appelez-nous!
En savoir plus :
> « Innovation Labs Don’t Work »
> « Et si vous mettiez en place un lab dans votre entreprise? »
> « Innovation begins in the garage »
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* Mickaël Desmoulins est également président de l’association Fab&Co qui regroupe des managers français de labs professionnels et industriels. Nous l’avons rencontré en mai dernier, de passage au Québec comme animateur invité au Bootcamp 2018 sur la gestion de la créativité et de l’innovation responsable.
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