Ce dernier article d’une série de cinq aborde l’impression 3D sous l’angle de son incidence sur différents enjeux de société : l’impact environnemental de ce type de fabrication, les répercussions sur nos modes de consommation et les défis légaux que cela va entrainer.
L’impression 3D est une technologie innovante en pleine effervescence. Au Québec, peu d’entreprises connaissent tout le potentiel de cette nouvelle technologie appelée à révolutionner les pratiques en conception et fabrication de produits. De concert avec le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), l’IDP vous propose une série d’articles sur cette technologie et ses impacts*. Voici le dernier volet d’une série de cinq.
Nous tenons également à remercier Guillaume Blum, co-auteur du rapport L’impression 3D : de l’émerveillement technique aux enjeux organisationnels, économiques et sociaux pour avoir ouvertement partagé ses réflexions pour cet article.
Dans les articles précédents, nous avons vu comment l’impression 3D est un outil de prototypage facilitant le développement de produits, accélérant l’innovation. Nous avons également constaté son impact positif sur la chaine de valeur des entreprises et plus précisément pour celles qui sont conscientes des opportunités que revêt la transition numérique actuellement en cours dans le secteur manufacturier. Cette technologie est également appelée à transformer la société dans laquelle nous vivons!
Le numérique, pour une transition sociale
Plusieurs s’accordent à dire que l’impression 3D est une technologie clé au cœur de la transition numérique mais que, sans les autres technologies numériques complémentaires, elle n’aurait pas cette valeur. L’impression 3D incarne la proposition de valeur que constitue la chaine des technologies numériques en fabrication qui comprend l’utilisation de données contextuelles, la modélisation 3D, les simulations numériques, la FAO, etc. Plus largement, on peut penser que les technologies numériques contribuent à rapprocher les individus en leur proposant de nouveaux modes de collaboration; du même coup, elles nous éloignent d’une usine souvent perçue comme déshumanisante et polluante.
En effet, l’industrie manufacturière numérique contribue à présenter une image plus épurée de la fabrication. En mettant en avant des concepts qui tiennent compte du respect de l’environnement et du bien-être des individus, l’Institut de fabrication de l’Université de Cambridge a identifié les principaux axes porteurs de cette transformation :
- saine utilisation des ressources;
- augmentation de la durée de vie des produits;
- redéfinition de la chaine de valeur de l’entreprise;
- amélioration de l’environnement de travail des employés;
- etc.
Mentionnons que ces objectifs sont directement en lien avec la proposition de valeur sous- tendant la technologie de l’impression 3D.
Un pas vers le développement durable
Fait notable, l’utilisation de la technologie de l’impression 3D ouvre de nouvelles voies pour la réduction de l’impact environnemental des produits issus du secteur manufacturier, spécialement grâce à :
- la conception de produits utilisant moins de matériaux;
- l’utilisation de matériaux à faible impact environnemental;
- la fabrication à la demande;
- l’utilisation de nouveaux procédés de fabrication
Adaptée pour fabriquer des composants aux géométries légères, épurées et optimisées, la technologie de l’impression 3D permet aux concepteurs de concevoir avec une plus grande flexibilité des solutions ayant des bénéfices environnementaux et ce, tout au long du cycle de vie du produit.
L’Institut de fabrication de l’Université de Cambridge propose la figure ci-dessous pour illustrer l’interaction entre les principales activités de développement de produits et les grandes étapes du cycle de vie d’un produit.
Voici un exemple. Dans le cadre du programme anglais SAVING, l’impression 3D a permis la conception d’un échangeur de chaleur plus efficace, réduisant de manière significative sa consommation énergétique et ce, pour toute la durée de vie de l’équipement. L’impression 3D a joué un rôle crucial dans la conception de la géométrie de la surface de cet échangeur et dans la fabrication, autrement impossible avec les méthodes conventionnelles.
L’impression 3D supporte également une approche économique de fabrication à la demande, tant pour le produit global que pour les pièces de rechange. La photo ci-dessous montre bien la capacité à concevoir et à fabriquer une pièce de rechange adaptée qui prolonge la durée de vie du produit. Ainsi, l’impression 3D permet de produire les pièces exactement au moment voulu, suite à un bris dans ce cas. De cette manière, les impacts liés à la gestion de l’inventaire sont réduits; il n’y a consommation de ressources que lorsque la pièce est requise.
L’utilisation de l’impression 3D est particulièrement pertinente pour atteindre de nouveaux objectifs dans une démarche de développement de produits, notamment pour maximiser les retombées de l’entreprise par la réduction des impacts environnementaux de ces produits.
L’exemple de la chaise illustre une des nombreuses stratégies d’écoconception actuelles. L’impression 3D simplifie leur mise en application :
- réduction des déchets de fabrication;
- réduction de la masse du produit;
- réduction de la masse transportée;
- fabrication à la demande
Au-delà du produit, l’impression 3D est un vecteur de changement qui peut amener l’entreprise à revoir son modèle d’affaires dans le but de mieux capter la valeur environnementale dans son marché, comme l’illustre la figure ci-dessus. Par exemple, en réutilisant partiellement un produit récupéré en fin de vie, une entreprise peut facilement réaliser des gains économiques. L’Institut de fabrication de l’Université de Cambridge suggère d’autres modèles d’affaires qui intègrent au moins une des dimensions suivantes afin d’augmenter la durée de vie des produits ou de leurs composants :
- réparation du produit;
- remise à neuf du produit;
- produits re-fabriqués
Au-delà d’une transformation des méthodes de fabrication traditionnelles de l’industrie manufacturière et des impacts positifs sur l’environnement, l’impression 3D nous entraine dans une réflexion plus large sur nos comportements collectifs en matière de consommation.
L’effet rebond
Si l’impression 3D est porteuse de renouveau et d’espoir pour diminuer l’impact environnemental de nos produits, peut-on vraiment croire à un effet aussi bénéfique à long terme? Théoriquement, on peut penser que les gains réalisés par une entreprise en termes d’efficacité ou de coûts d’un produit vont se traduire par une plus grande accessibilité du produit à plus de consommateurs. De ce fait, une augmentation de la consommation de ce produit va accroitre l’impact environnemental global du produit. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond.
Pour illustrer ce phénomène, Guillaume Blum, professeur à l’École de design de l’Université Laval, propose le concept de l’avion vert**. Dans le secteur de l’aéronautique où l’impression 3D est utilisée à profit, chaque gramme en moins de la masse d’un avion se traduit par d’importantes réductions dans la consommation de carburant. Une partie des gains réalisés par l’entreprise pourrait possiblement se répercuter dans une réduction du coût du billet, favorisant l’accessibilité de ce moyen de transport à plus de gens. En bout de ligne, si le nombre d’utilisateurs augmente, la consommation énergétique va faire de même. Dans ce contexte, peut-on encore parler de réduction de l’impact environnemental?
Pour Guillaume Blum, la réflexion sur ce type d’enjeux va au-delà de la technologie de l’impression 3D et porte davantage sur le type de société dans laquelle nous vivons et celle que nous désirons. À son avis, si on ne change pas notre société, aucune technologie ne va l’améliorer. Par conséquent, il est important d’être conscients de ces enjeux et de les aborder de manière systémique.
À l’aube des consom-acteurs
L’impression 3D est porteuse de transformations majeures tant du côté des consommateurs que des employés d’entreprise concernés par le développement de produits. Par exemple, on note un intérêt croissant de consommateurs désireux de s’impliquer dans la conception et la fabrication des produits qu’ils consomment (consom-acteurs). Ce nouveau comportement, combiné à l’émergence de technologies rendant accessible le prototypage rapide, a favorisé l’apparition de nouveaux lieux d’échanges tels les FabLab.
Implantés surtout dans les milieux communautaires, les FabLab sont des lieux qui valorisent les interactions entre les individus, l’entraide, la collaboration et l’exploration. Le MIT étant l’instigateur de ces lieux, une de ses fondations, FabFoundation, encadre tous ceux qui désirent obtenir cette appellation en s’assurant du respect de deux principes : la mise en place d’actions collectives et la création de projets de collaboration. Que ce soit avec ou sans accréditation officielle, plusieurs lieux similaires ont vu le jour à travers le monde permettant aux intéressés de s’adonner à des activités de conception mécanique, de prototypage ou même de fabrication à petite échelle.
S’appuyant sur la philosophie de l’open source, qui réfère principalement aux notions associées au logiciel libre, les FabLab prônent l’utilisation de connaissances collectives pour bonifier une démarche personnelle. L’open source repose sur deux valeurs fondamentales : partage et efficacité. C’est dans les FabLab que l’open source prend tout son sens pour le secteur manufacturier en ce qu’il permet aux entreprises de bénéficier d’un lieu d’échanges et de collaboration.
Pour le citoyen, c’est la valeur de partage de l’open source qui importe : Partager pour apprendre, collaborer dans le but d’explorer des perspectives différentes et réaliser des projets autrement impossibles, souvent par manque de connaissances personnelles. Pour les entreprises, la valeur d’efficacité domine : Collaborer pour résoudre des défis techniques, explorer pour s’inspirer, partager pour développer de nouvelles compétences.
Bien entendu, dans un contexte d’affaires, les entreprises tiennent à garder pour elles certaines idées ou certaines compétences, et c’est normal! Pour Guillaume Blum, un modèle hybride est donc à privilégier. Il propose que les entreprises réalisent certaines activités à l’interne tout en fréquentant des FabLab qui leur donnent accès à des technologies de prototypage rapide. Elles peuvent ainsi échanger avec d’autres utilisateurs sur les usages de leurs produits.
Pour toute entreprise, le recours aux FabLab et aux technologies de prototypage rapide dont l’impression 3D, est une manière de s’initier aux changements qu’entraine la révolution numérique et qui transforme la société et nos organisations. Une familiarisation avec les valeurs sous-jacentes à l’open source et à la collaboration est un premier pas pour tirer avantage des principes de l’innovation ouverte dans leurs activités.
Et les défis légaux ?
Pour une entreprise, s’ouvrir sur l’extérieur signifie que plusieurs normes devront être repensées et structurées selon une logique différente. La propriété intellectuelle est un des enjeux majeurs au cœur de cette réflexion.
L’accès à l’impression 3D et aux FabLab permet une démocratisation des modes de fabrication. Mais cela ouvre également la voie à la transaction du produit sous forme de fichier virtuel contenant toute l’information nécessaire à une impression adéquate par l’utilisateur. À bien des égards, le monde manufacturier est à quelques pas d’une numérisation similaire à ce que l’industrie de la musique a vécu au tournant des années 2000.
Rappelons-nous l’avènement des fichiers numériques .mp3 qui a fait surgir bien des questions aux producteurs et aux auteurs. On peut penser qu’il en sera de même pour le secteur manufacturier face aux enjeux techniques et légaux de l’impression 3D. À qui appartient la propriété intellectuelle lorsqu’un utilisateur modifie le modèle 3D acheté suite à une personnalisation? À qui la faute si le produit brise et cause des préjudices à l’utilisateur? À qui reviennent les profits découlant de l’acquisition d’un fichier de modélisation d’un produit lorsque celui-ci a été modifié à plusieurs reprises et bonifié chaque fois par différents utilisateurs?
Ces enjeux légaux feront davantage surface lorsqu’une fabrication délocalisée sera accessible aux consom-acteurs. Si le passé est garant de l’avenir, les bouleversements survenus dans l’industrie du disque nous apprennent que le statu quo et le renforcement des conséquences légales relativement à la propriété intellectuelle ne sont pas la voie à suivre.
Bien que plusieurs personnes et groupes aient enfreint les droits d’auteur lors de téléchargements illégaux, beaucoup de mélomanes se sont vus imposer des amendes très importantes illustrant une déconnexion profonde entre l’acte et la conséquence. Ainsi, une mère monoparentale a été mise à l’amende pour un montant totalisant plus de 100 000 $ pour avoir téléchargé quelques titres musicaux***. La perception du public a joué en défaveur de l’industrie du disque. En 2012, celle-ci a plutôt opté pour s’adapter à la nouvelle réalité numérique du divertissement plutôt que de s’y confronter. Elle propose dorénavant une nouvelle valeur en supportant l’utilisation du streaming et en misant davantage sur la valeur des concerts plutôt que sur celle des chansons.
La question que nous devons nous poser à ce stade-ci est la suivante : Comment réagirons-nous lorsque les technologies permettront au fichier numérique du produit d’avoir une plus grande valeur aux yeux des utilisateurs que le produit physique lui-même? Quel cadre légal doit être mis en place pour supporter ce nouveau mode de transaction des produits?
Au-delà des aspects techniques, l’arrivée de cette technologie amorce déjà des réflexions sur des enjeux qui affectent directement les activités de vos entreprises et nos modes de consommation comme citoyens.
Dernier volet
C’est ce qui conclut le dossier sur l’impression 3D en collaboration avec le CRiQ. N’hésitez pas à prendre contact avec nous et à nous faire part de vos réflexions sur les thématiques abordées tout au cours de ce dossier. Nous sommes toujours intéressés à connaître les initiatives et succès que vous vivez! Et ils peuvent à coup sûr inspirer d’autres entreprises.
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* Ce dossier est piloté par David Fauteux, ing. jr, conseiller à l’IDP, avec la collaboration de Denis Lépine, ing., agent de recherche, Conception mécanique et fabrication additive, au Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ).
** Blum, G. (2014). L’émergence des connaissances dans le secteur québécois de l’aéronautique. Une étude de l’innovation conduite par le concept d’avion vert. UQAM, Montréal, Québec.
*** Depoorter, B. (2014) Intellectual Property Infringements & 3D Printing: Decentralized Piracy. Hastings Law Journal, vol.65.
Ford, S. & Despeisse, M. (2016). Additive manufacturing and sustainability: an exploratory study of the advantages and challenges, Institute for Manufacturing, University of Cambridge. Journal of cleaner Production, vol. 137.
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