Par Louise Saint-Pierre, MBA, Communications IDP
Elles sont de plus en plus nombreuses les femmes entrepreneures et gestionnaires en innovation. Peu importe la génération à laquelle elles appartiennent, ces femmes ont toutes en commun d’avoir cru en elles, d’avoir pris les moyens pour réaliser leurs ambitions et d’avoir osé être elles-mêmes. Dans le but de leur rendre hommage, l’IDP propose dans cet article quelques portraits de ces femmes au parcours inspirant.
Existe-t-il toujours des barrières visibles ou invisibles à l’accession des femmes à des postes de direction? Nous avons posé la question à six gestionnaires rencontrées dans le cadre de ce dossier. Toutes générations confondues, elles sont unanimes à dire qu’à cet égard les temps changent et que la société évolue. Et c’est tant mieux.
Même si on est loin de la parité hommes femmes sur les comités de direction et conseils d’administration, elles s’accordent à dire que l’époque actuelle est plutôt favorable aux femmes qui désirent se lancer en affaires, accéder à des postes de direction, siéger à des conseils d’administration. À leur avis, il n’y a jamais eu autant de programmes et d’initiatives visant à encourager l’entrepreneuriat au féminin au Québec.
Et à quoi ressemble ce leadership au féminin? Vous trouverez des éléments de réponse dans les portraits que nous vous présentons de femmes qui, à leur façon, font leur marque dans leur milieu.
Sarah Jobin
Directrice principale Innovation, R-D et co-manufacturiers
Biscuits Leclerc Ltée
« C’est important de s’assumer, de faire avec ce qu’on est. »
Sarah Jobin dit souvent aux nouveaux employés : « Chez Leclerc, il n’y a qu’une vitesse : la cinquième. Et pour moi qui suis du type Formule 1, je m’attends donc à ce qu’ils opèrent en 5e et s’ils sont capables de développer une 6e vitesse, c’est tant mieux! » Cette affirmation révèle le style de cette jeune gestionnaire spontanée, à l’enthousiasme communicatif.
En 2005, avec en poche un baccalauréat en sciences et technologie des aliments (STA) de l’Université Laval, Sarah fait son entrée chez Leclerc au poste de technologue contrôle de la qualité en se disant que si elle n’aimait pas cela, elle chercherait autre chose. Le hasard faisant bien les choses, l’année suivante, elle entre au département de R-D en remplacement pour congé de maternité. Et tour à tour, elle sera coordonnatrice, directrice, puis directrice principale de cette unité, poste qu’elle occupe depuis 2018.
Sarah dirige une équipe de 10 personnes composée de spécialistes R-D, techniciens de laboratoire, commis et chargée de veille stratégique. Dans cette entreprise de 1200 employés, où le personnel administratif et de production est majoritairement féminin, on ne compte que cinq femmes pour 17 hommes aux postes de directeurs principaux et vice-présidents.
Très tôt Sarah manifeste un vif intérêt pour l’innovation et le domaine alimentaire. Scientifique dans l’âme, elle aurait voulu faire des études en astronomie et astrophysique mais elle était peu disposée à absorber la pression qu’exige une telle discipline. C’est un conseiller d’orientation qui lui fait découvrir le programme STA. Il ne pouvait mieux tomber car Sarah est une « foodie » depuis longtemps. Jeune étudiante, pour aider sa mère qui avait un horaire de travail atypique, elle préparait les repas de la semaine pour leur famille de quatre personnes!
« Le domaine de la transformation alimentaire est un milieu plutôt féminin. Dans ma cohorte à l’université en 2005, il n’y avait qu’un seul garçon sur 20 finissants; aujourd’hui, on en compte une dizaine sur 40. »
« Mon ambition, c’est d’être vraie, transparente. Dans la vie, c’est important de s’assumer. Être capable de dire qu’on a besoin d’aide ou qu’on a fait une erreur. On fait avec ce qu’on est. What you see is what you get. J’ose espérer que c’est comme ça que les gens me perçoivent aussi! »
Liette Lamonde
Directrice générale
Montréal inc.
Co-présidente
Bonjour Startup Montréal
« J’aime aller au fond des choses dans la vie! »
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Liette Lamonde a toujours eu une réelle fascination pour les entrepreneurs. « Passer du temps avec eux, comprendre leurs enjeux. J’ai énormément de respect pour ces gens : Ils se lancent, ils sont plein de courage. J’aime voir ce qu’ils développent de nouveau, comment ils créent. »
Baccalauréat en administration puis maitrise en droit commercial et international, son parcours illustre bien ce besoin d’être proche des entreprises. Conseillère en appui aux entreprises qui font de l’exportation, d’abord chez DEC, puis au World Trade Center de Montréal où elle devient rapidement directrice des opérations, puis directrice générale.
À la tête de Montréal inc. depuis 15 ans, dont la mission est de propulser de jeunes entrepreneurs vers le succès, Liette Lamonde est aux premières loges pour voir émerger les plus prometteurs. Et comme si ce n’était pas suffisant, elle fonde avec Patrick Gagné Bonjour Startup Montréal lancé il y a tout juste un an! Cette création correspond pour elle à un de ses souhaits les plus chers : bâtir à Montréal un écosystème dynamique qui regroupe tous les types d’acteurs pouvant venir en aide aux startups.
Montréal inc. sélectionne chaque année une centaine de projets de démarrage qui offrent le plus de potentiel. Au fil du temps, sa directrice générale observe une diminution des candidatures féminines. Une analyse leur a permis de comprendre que ce n’était pas due à un biais dans l’évaluation mais qu’il fallait travailler en amont auprès des femmes.
« Les femmes ont autant de bonnes idées que les hommes mais elles doutent beaucoup d’elles-mêmes. Elles ont besoin de mûrir leur projet, de sentir que tous les fils sont attachés avant se de lancer. On a mis en place un programme « Entreprendre au féminin » pour convaincre plus de femmes de passer à l’action. »
Comme gestionnaire, Liette dit prêcher par l’exemple. « J’essaie d’exprimer ma propre vulnérabilité pour que les gens se sentent à l’aise d’exprimer la leur. Je crois que c’est tout à fait féminin. On a besoin de ça dans nos organisations, se donner le droit à l’erreur. »
« Aujourd’hui, je pense que j’aurais aimé être entrepreneure. Mais comme bien des femmes, ça m’a pris du temps à comprendre que j’avais ce qu’il fallait. En co-créant Bonjour Startup Montréal, je réalise un rêve. On a bâti une organisation de toutes pièces. C’est excitant et j’ai vraiment du plaisir à faire cela! »
Julie Poitras-Saulnier
Présidente et cofondatrice
LOOP
« Plus on vend de produits, plus on a un impact positif sur l’environnement »
En 2016, avant même d’avoir 30 ans, Julie Poitras-Saulnier et son partenaire de vie David Côté tombent sur une opportunité d’affaires : comment revaloriser des tonnes de fruits et légumes frais qu’on s’apprête à jeter tous les jours chez le grossiste? Il n’en fallait pas plus au couple pour se lancer dans l’aventure avec un troisième partenaire, Frédéric Monette, alors v.-p. opérations chez le grossiste Courchesne Larose.
« Nous sommes partis d’un problème à résoudre. J’ai apporté ma vision d’économie circulaire à ces produits rejetés et nous avons créé une entreprise avec un tout nouveau modèle d’affaires. J’ai tout quitté et j’ai décidé de me lancer dans le projet. »
C’est ainsi qu’est née l’entreprise qui compte aujourd’hui une trentaine d’employés. Pour le moment, LOOP fabrique des jus à partir de fruits et légumes déclassés ou imparfaits, du gin avec des pommes de terre, des bières avec du pain provenant de boulangeries et des savons avec les huiles de cuisson d’une chaine de restauration.
Avec une maitrise en sciences de l’environnement et développement durable, Julie s’oriente tôt vers un secteur qui offre pour elle un immense potentiel : l’industrie alimentaire. De plus, cette spécialiste en développement durable adore manger et découvrir de nouveaux ingrédients. « En voyage, je visite des restaurants, épiceries, marchés fermiers. J’ai une obsession pour tout ce qui se mange. »
Ses interventions en développement durable et dans des projets d’innovation au sein d’entreprises de différentes tailles lui font voir différentes facettes de la gestion des opérations et, à un moment donné, le déclic s’est fait : « Moi aussi je peux faire cela! », se dit-elle.
« Oui, je me suis toujours vue, j’ai toujours rêvé d’avoir ma propre entreprise. Ça me faisait quand même peur, j’avais l’impression qu’il fallait être bonne dans tout, connaitre tous les départements. Et quand j’ai vu les palettes de fruits et légumes qui allaient être jetées, à ce moment-là j’ai arrêté d’avoir peur, de penser aux possibilités que ça ne fonctionne pas. »
LOOP grandit vite! Bien que ce soit encore une startup avec une petite équipe et des ressources limitées, Julie considère qu’ils font des miracles avec rien. Son bonheur, c’est de voir que son engagement dans l’industrie de l’économie circulaire, du développement durable fait des petits.
Sollicités pour donner des conférences, les dirigeants de LOOP sont conscients que leur modèle d’affaires est une source d’inspiration pour plusieurs nouvelles entreprises qui pointent vers ce type d’économie.
Lyne Dubois
Présidente-directrice générale par intérim
CRIQ
« La compétence n’a pas de genre! »
Lyne Dubois est présidente-directrice générale par intérim du CRIQ depuis octobre 2019. Elle avait auparavant occupé le poste de vice-présidente au développement des affaires durant six ans. Il faut mentionner qu’elle est la première femme à diriger cette institution qui a plus de 50 ans.
En avril prochain, le CRIQ sera fusionné à Investissement Québec (IQ) dont la mission a été élargie dans le but d’accroitre la productivité des entreprises, les exportations et les investissements étrangers. La PDG par intérim affirme que son organisation ne perdra aucun morceau dans cette fusion, le mandat, les services et la clientèle demeurant les mêmes.
« À l’heure actuelle, on est bien engagé dans le processus de fusion que je pilote avec IQ et mon objectif c’est de faire du CRIQ un centre d’innovation industrielle d’expertise technologique de haut niveau, au service de la transformation des entreprises québécoises. »
MBA en gestion internationale, Lyne cumule une longue feuille de route faite d’expériences variées au service de l’entrepreneuriat, du développement des affaires et de l’innovation et ce, tant dans le secteur privé que parapublic.
Leader mobilisatrice, la PDG par intérim dit se faire un point d’honneur de rallier les gens et de leur donner une vision. « J’aime placer mes collaborateurs dans les meilleures conditions pour les aider à développer leurs talents; je leur témoigne de la reconnaissance sincère et authentique. »
À la question, le milieu de l’innovation est-il plutôt masculin? Elle répond spontanément que cela change beaucoup. Elle nous précise toutefois que le secteur manufacturier souffre toujours d’une sous-représentation des femmes (26 %) et que cette part n’a fait que reculer ces dernières années.
Malgré tout, elle considère qu’il y a beaucoup d’efforts déployés pour intéresser les jeunes femmes au milieu manufacturier appelé à devenir un secteur de pointe. Afin de favoriser la diversité dans les entreprises, Lyne cite le collectif Femmes 4.0 dont elle est la co-leader avec Sylvie Pinsonneault (IQ) et Véronique Proulx (Manufacturiers et exportateurs du Québec).
Son souhait le plus cher : « Permettre aux gens avec qui je travaille de progresser et d’être heureux dans un environnement de travail stimulant, tout en contribuant à rehausser l’économie du Québec. C’est important pour moi! »
Nathalie Gamache
Vice-présidente Marketing et innovation
Cascades Emballage carton-caisse
« Je suis fondamentalement un agent de changement. »
« Ce qui me caractérise, c’est mon authenticité. Je suis celle qui dit tout haut ce que les gens pensent tout bas. C’est comme ça qu’on peut faire avancer les choses. » Cette affirmation de Nathalie Gamache donne le ton de l’entrevue.
En août 2016, Nathalie fait son entrée chez Cascades Emballage carton-caisse à titre de directrice Marketing et innovation, une toute nouvelle fonction pour cette division d’affaires. « En lien avec le plan de développement durable de Cascades, il y avait de très belles opportunités pour bâtir la culture marketing et innovation du groupe. » En 2019, on lui attribue la vice-présidence de ce même groupe. À ce titre, elle est responsable de définir et d’exécuter la stratégie d’innovation et de la gestion du marketing stratégique. Neuf personnes composent l’équipe qu’elle dirige.
Titulaire d’une maitrise en marketing, Nathalie débute sa carrière au centre de R-D mondial de Johnson & Johnson à Montréal où elle travaille avec des développeurs de produits. Curieuse de nature, elle est fascinée par le travail de ces gens. Puis successivement chez Lavo, Banque Nationale, Saputo et Aliments Ultima, elle touche au cycle complet de développement de nouveaux produits et à leur commercialisation. Son expérience hybride en marketing et innovation deviendra sa marque professionnelle.
Nathalie se définit comme un leader, un agent de changement qui aime améliorer les choses. « Je n’ai pas peur de voir les choses différemment, de proposer de nouvelles façons de faire. Voir les situations sous un nouvel angle permet d’ouvrir nos possibilités et de créer de nouvelles opportunités. »
Pour elle, les obstacles à l’avancement des femmes proviennent davantage de la culture d’entreprise, du milieu. « Chez Cascades, il y a tellement une belle ouverture. Il y a maintenant un programme « Place aux femmes », titre très explicite sur l’importance que Cascades veut accorder aux femmes dans l’entreprise. En 2020, ils ont créé un prix « Leadership au féminin » qui a été remporté par une directrice générale des opérations. »
« En rétrospective, je dois dire que la persévérance est le dénominateur commun dans mon cheminement de carrière. Quand tu es un agent de changement, tu dois te faire confiance, apprendre à convaincre, à influencer pour aller chercher la collaboration des partenaires d’affaires. »
« Ce que je veux léguer à mon équipe : Les pousser à aller plus loin, à se faire confiance, à être fiers de leurs accomplissements et à avoir du plaisir dans ce qu’ils font, tout en conservant leur équilibre. »
Maryse Dumont
Vice-présidente Recherche, développement innovation corporatif
Fruit d’Or
« Pour moi un défi, c’est excitant; ça ne me fait pas peur! »
En 20 ans de carrière, Maryse Dumont s’est plu à varier ses expériences de travail dans divers secteurs de l’industrie alimentaire, mais toujours dans sa spécialité : la recherche et le développement de produits. Elle débute comme consultante chez Cintech agroalimentaire à Saint-Hyacinthe; puis une série d’opportunités l’amènera tour à tour dans la chocolaterie (Barry Callebaut), les produits laitiers (Aliments Ultima, Danone), la volaille (Exceldor).
« Chaque secteur amène ses contraintes et ses défis. J’ai toujours aimé apprendre. Au fil des mandats, je gagnais en responsabilités. En grandissant dans un poste, on a l’opportunité d’influencer les choses et de faire grandir l’entreprise. »
Diplômée en sciences et technologie des aliments, Maryse n’a jamais regretté ce choix. Cette industrie qui touche les gens au quotidien a toujours eu un grand besoin de personnel qualifié, et les perspectives d’emploi et de progression dans la carrière sont nombreuses. Les chasseurs de tête y sont d’ailleurs très actifs!
En 2019, Fruit d’Or lui offre le poste de vice-présidente Recherche, développement innovation corporatif, une toute nouvelle fonction créée sur mesure pour elle. Cette entreprise familiale dédiée à la culture et à la transformation des canneberges et des bleuets sauvages connait une très forte croissance, année après année, depuis sa création 20 ans auparavant.
Pour continuer d’assurer cette croissance, Maryse a le mandat de structurer l’innovation et de mettre en place un plan stratégique pour cinq ans. Son ambition : faire de Fruit d’Or un leader en innovation dans son segment.
Personne très engagée et enthousiaste de nature, Maryse conçoit la R-D comme une unité de service : « On ne fait pas seulement des produits, on offre une expérience à toutes les clientèles de l’entreprise, internes et externes. » Elle aime aussi répéter à son monde l’importance de faire les choses correctement, du premier coup.
« En innovation, il faut aller dans la bonne direction dès le départ car c’est si facile de dévier. Bien comprendre le mandat et livrer le bon produit, c’est plus gagnant que d’essayer d’aller vite et de livrer autre chose que ce que le client souhaite. »
Au-delà de la croissance de l’entreprise, ce qui motive la vice-présidente, c’est de contribuer au développement des qualités et compétences des gens de son équipe. C’est ce qui l’anime au quotidien. « Je crois au leadership positif et cela prend beaucoup d’amour! »
En conclusion
Si le leadership n’a pas de genre, il faut admettre que les femmes font les choses un peu différemment des hommes. Par rapport à ces derniers, elles reconnaissent avoir une approche plus collégiale de la gestion d’équipes. Également, leur plus grande sensibilité et souci du bien-être des autres les prédisposent, plus que les hommes, à exercer un leadership de type rassembleur, collaboratif.
S’il existe encore des préjugés ou biais à l’égard des femmes chez des dirigeants de la vieille école ou dans certaines cultures d’entreprise, les femmes ont par ailleurs tendance à sous-estimer leurs compétences ou à douter d’elles-mêmes, ce qui constitue un frein important pour leur avancement professionnel.
C’est pourquoi les gestionnaires rencontrées croient que des programmes tels Entreprendre au féminin (Montréal inc.), Femmessor Québec, Femmes 4.0 (CRIQ, IQ et M&EQ) constituent des mesures d’encouragement très porteuses. Ces initiatives proposent aux femmes des modèles de réussite et donnent accès à des réseaux d’échanges. Voilà ce dont elles ont le plus besoin pour les aider à « oser entreprendre ».
Nous remercions toutes celles qui ont accepté de nous livrer un peu d’elles-mêmes pour la réalisation de cet article et de nous avoir généreusement donné de leur temps.
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