Propos de Guy Belletête recueillis par Louise Saint-Pierre, MBA, Communications IDP
À la base, le processus de développement de produits (PDP) n’est pas qu’une simple procédure pour bien exécuter les projets; il permet de planifier la prise de décision aux étapes critiques. Dans cet entretien, le cofondateur de l’IDP, Guy Belletête*, nous explique pourquoi l’implication de la haute direction est fondamentale dans ce processus.
Q. – Dans une précédente entrevue, vous avez dit : « Les échanges entre les responsables du développement de produits et la haute direction constituent le talon d’Achille de bon nombre d’entreprises. » Qu’est-ce que vous avez observé au juste?
Je fais référence à une problématique bien spécifique : Les échanges entre les responsables du développement de produits et la direction ne sont pas orientés pour la prise de décisions stratégiques. Je ne dis pas que la communication entre les deux parties est mauvaise ou irrégulière, non. On fait des suivis réguliers pour vérifier l’avancement des projets; on aurait avantage à planifier des moments précis pour prendre un pas de recul, partager l’information pertinente pour s’assurer que ce nouveau produit/service amène une réelle création de valeur à l’entreprise et rencontre les objectifs visés.
Je relève ce problème même dans des entreprises ayant un très gros chiffre d’affaires. Elles ont un processus qui décrit les tâches qui doivent être faites, mais il n’y a pas de structure qui prévoit la prise de décisions stratégiques aux moments cruciaux du projet.
Tout se passe de manière plutôt informelle. D’un côté, il y a un responsable qui ne veut pas trop déranger en faisant état de problèmes courants en développement de produits, se disant que le patron n’a pas le temps de s’occuper de cela. De l’autre, il y a le patron qui veut soutenir son responsable et qui au cours des rencontres de suivi hebdomadaires va s’informer : « Comment ça va dans ton projet? Lâche pas! S’il y a quelque chose, tu me le dis. » Puis ils se reverront le lundi suivant.
Q. – À quoi attribuez-vous cette déficience dans la communication?
Un des problèmes c’est que la discussion n’est pas basée sur des informations permettant d’avoir un portrait global du projet; par exemple, le marché visé, les ventes potentielles, les besoins auxquels on veut répondre, les caractéristiques du produit, les défis techniques, l’objectif stratégique à atteindre dans le temps, un plan d’affaires peut-être. En l’absence de ces informations, sur quels critères peut-on décider si ça va bien ou pas, s’il faut modifier ceci ou cela, si on doit aller ou non de l’avant avec ce projet?
En cause, l’absence de structure et de mécanismes pour prendre des décisions éclairées aux étapes critiques : Est-ce qu’on fait le bon projet? Pourquoi et comment va-t-on le faire! Et très souvent, les rôles et responsabilités de chacune des deux parties dans ce processus-là sont plus ou moins bien définis et donc incompris.
Ou encore, il y a un processus en place qui décrit uniquement les activités faites par la R-D. Les relations avec les autres départements, leurs rôles et responsabilités dans l’avancement du projet, les décisions qui doivent être prises aux rencontres de porte, tout cela est trop informel voire inexistant.
En développement de produits, un processus de type stage-gate n’a pas à être compliqué. Et l’essence même de ce type de processus est de soutenir une bonne prise de décisions corporatives tout au long de l’avancement du projet.
Q. – Quelles sont ces étapes ‘critiques’ du processus où la direction doit être impliquée?
On le redit, la première préoccupation à avoir en développement de produits, c’est de savoir si on fait le bon projet, celui qui a un potentiel commercial et de la valeur pour l’entreprise. Aussi, très tôt, des mécanismes sont prévus pour que la direction, avec les responsables du développement de produits, puisse sélectionner les projets qui iront de l’avant et ceux qui seront écartés. Plus on est au début, plus il y a d’incertitudes, c’est pourquoi l’implication de la direction aux premières phases est fondamentale.
Il est vraiment souhaitable d’y aller en deux temps. D’abord une phase préliminaire; c’est le montage d’un avant-projet. Les équipes de développement de produits élaborent une première définition du produit, recueillent des informations de marché, évaluent la faisabilité technique, etc. Sur la base de ces informations, la direction devrait être en mesure d’estimer si le concept de produit est réalisable, s’il a du potentiel et si ce projet est favorable à l’atteinte des objectifs de l’entreprise.
Si tel est le cas, on passera à l’étape suivante, soit une étude plus détaillée pour décrire l’ensemble du projet, son plan d’exécution jusqu’au lancement dans le marché, ainsi qu’un plan d’affaires comportant des objectifs de rendement crédibles. Bien sûr, il restera encore beaucoup de défis et d’incertitudes à relever mais il y aura d’autres étapes prévues dans le processus pour réajuster le tir au besoin.
C’est ici que les rencontres de porte ont toutes leur pertinence. Ces rencontres seront planifiées en fonction des moments clés du projet, bien préparées avec la documentation pertinente et inscrites à l’agenda des dirigeants et des responsables R-D, longtemps d’avance. Si le projet prend du retard, on en présentera les raisons et on s’ajustera. Avec ces rencontres de porte, les membres de la direction sont régulièrement impliqués et le responsable R-D assuré de leur engagement dans le projet.
Il y a un autre défi de communication : avoir un langage commun. Les gens de R-D, qui ont souvent une vue plus technique du projet, doivent apprendre à avoir un discours « business » plus approprié pour les membres de la direction. Après tout, pourquoi développe-t-on de nouveaux produits? Pour créer de la valeur, permettre à l’entreprise de bien se positionner dans les marchés et favoriser sa croissance.
Q. – Tout ce que vous nous dites renforce l’affirmation « l’innovation, ça s’organise! »
Oui tout à fait. En formalisant toutes les étapes du processus de développement de produits, les responsables vont en améliorer la performance.
Enfin, la priorisation des projets par la haute direction est une autre étape critique en développement de produits. Dans une entreprise, il y a toujours plus d’idées et de projets que de ressources pour les faire sur une période donnée. En lien avec la stratégie d’entreprise, la haute direction doit prioriser les projets.
L’objectif du développement de produits, c’est de créer de la valeur pour l’entreprise, pour qu’elle puisse croitre. Voilà pourquoi il importe d’organiser ce processus de façon formelle et systématique.
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Guy Belletête, est cofondateur de l’IDP et vice-président, Affaires stratégiques. Il a été directeur général de l’Institut depuis sa fondation en 1995 jusqu’en 2012. Certifié New Product Development Professional (NPDP) par l’association américaine Product Development & Management Association (PDMA), Guy Belletête est un formateur aguerri et un conseiller de premier plan auprès des entreprises.
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