par Magali Pelletier, conseillère à l’IDP
Au-delà des enjeux économiques, les entreprises font face à un ensemble de défis d’ordre social qui peu à peu vont transformer le monde du travail : l’accélération technologique, l’accroissement d’équipes multigénérationnelles, l’intelligence collective ou la pénurie de main-d’œuvre. Les dirigeants seront alors amenés à repenser leur modèle de gestion et même leur structure organisationnelle. Aperçu de ces nouveaux modes d’organisation et de gestion appelés à prendre de l’ampleur dans notre société.
Nouveaux modèles de gestion centrés sur les individus
Plusieurs enquêtes, dont le 2019 Global Human Capital Trends réalisée par la firme Deloitte auprès de 10 000 répondants dans 119 pays, démontrent que les principaux défis pour les entreprises résident dans la gestion du capital humain. Qu’il s’agisse de repenser le milieu de travail ou les modes de gestion pour favoriser la collaboration et la prise de leadership chez les employés, tôt ou tard elles vont devoir trouver de nouvelles façons pour créer un écosystème plus sain, motivant et, en bout de ligne, plus performant.
À cet égard, on assiste à l’essor d’entreprises sociales que Deloitte définit ainsi dans son rapport : “Leading a social enterprise is about recognizing that, while businesses must generate a profit and deliver a return to shareholders, they must do so while also improving the lot of workers, customers, and the communities in which we live. And in today’s world, with today’s societal challenges, fulfilling this aim requires reinvention on a broad scale.”
Quels sont les moyens dont disposent les dirigeants pour favoriser l’engagement social de leurs employés, tout en encourageant la prise de risque en innovation? Comment rendre les entreprises attrayantes pour la main-d’oeuvre? Il existe certaines approches de gestion, encore peu déployées dans les industries traditionnelles, qui méritent d’être considérées pour leur potentiel à modifier un ensemble de règles (répartition du pouvoir décisionnel, des tâches, du contrôle et de la coordination) afin de générer agilité, efficacité et bien-être au travail. En voici quelques-unes.
L’organisation à structure aplatie
De nos jours, beaucoup d’entreprises de taille moyenne ou grande fonctionnent avec une structure organisationnelle aplatie, c’est-à-dire avec un nombre réduit mais encore bien présents de niveaux hiérarchiques. L’objectif d’une telle structure est de faciliter la communication et la collaboration pour améliorer l’expérience des employés.
En général, les firmes qui ont adopté ce mode d’organisation ont un ensemble de technologies bien développées et intégrées. Grâce à différents outils technologiques, dont l’approche SAAS et les systèmes nuagiques d’information, les employés peuvent facilement collaborer entre eux car ils ont accès à toute information localisée à n’importe quel endroit, avec n’importe quel outil et en tout temps. C’est l’internationalisation des opérations, entrainant de nombreux déplacements, qui a favorisé le développement de ces technologies et ce mode d’organisation. Par exemple, le leader mondial en matière de réseaux et de TI Cisco a su bien appliquer cette approche en permettant à tous ses employés de travailler de l’endroit désiré, au moment désiré et de la façon désirée.
Dans cette structure aplatie, les gestionnaires transfèrent non seulement l’information aux employés mais aussi leur pouvoir décisionnel (autorité). Chez Whirlpool par exemple, les titres de fonction et les descriptions de poste ont été abolis pour faire place à quatre grands types de rôle de leadership dans lesquels tous les employés peuvent se reconnaitre. Dorénavant, en fonction de ses connaissances, expertises et attitudes, chaque employé définit lui-même le rôle qui lui convient le mieux pour mener à bien ses projets. Fait intéressant, les nouvelles entreprises qui voient le jour ont tendance à adopter une description du rôle des personnes plutôt qu’un titre fixe dans les projets.
L’organisation autogérée
Adoptée principalement par des entreprises de petite et moyenne tailles, cette structure organisationnelle se caractérise par l’absence de titres de fonction, de niveaux de séniorité ou de gestion; en bref, tous les employés sont égaux. Toute forme de hiérarchie est abolie mais une structure informelle assure quand même le fonctionnement. Ce type d’organisation prend de plus en plus d’ampleur.
Valve Corporation, entreprise qui fabrique des jeux vidéos et leurs applications, a introduit cette structure avec succès. Plus aucun titre de poste et plus aucune affectation aux projets ne provient d’un supérieur ou d’un collègue. La totalité des projets sur lesquels travaille l’entreprise est accessible à tous les employés. Ceux-ci peuvent décider d’en intégrer un ou plusieurs, selon leurs compétences. Il est aussi possible de lancer son propre projet. Pour ce faire, la personnne est responsable de s’assurer du financement, de déterminer les outils requis pour favoriser un travail sain et efficace, et de bâtir son équipe.
Plus près de nous, la Banque Nationale particuliers-accueil.html a tenté d’implanter cette nouvelle approche en 2018 dans son département de marketing. Près de 200 personnes ont accepté de travailler d’une toute nouvelle manière : abolition des bureaux, des gestionnaires et des équipes fixes. Le nouveau mode de fonctionnement de ce département est basé sur la création de 10 pratiques importantes : par exemple, le marketing numérique, de contenus, d’images, etc. Chaque pratique est confiée à un groupe de personnes aux compétences pertinentes. Pour adapter ces pratiques à la clientèle visée, des sous-groupes appelés « tribus » ont été créés pour chacun des segments (PME, grande entreprise, particuliers). À leur tour, chaque tribu compose sa propre équipe pour répondre à ses objectifs. Ces équipes nommées « escouades » regroupent de cinq à huit personnes qui seront en charge de mener à bien un projet. Elles travaillent toutes de manière autonome et sont libres d’utiliser les moyens à mettre en œuvre pour faire avancer leur projet. Pour assurer un soutien aux équipes, un chef d’escouades et de tribus est élu collectivement. Ici, le leader est au service de l’équipe et non l’inverse, comme c’est souvent le cas dans des structures hiérarchiques.
En 1990, The Morning Star Company, une entreprise de transformation alimentaire intégrée verticalement, a pris le virage de l’autogestion. Avec 400 employés à temps plein et un chiffre d’affaires de plus de 700 millons $ par année, elle est considérée comme un leader du marché de la transformation de la tomate. Dans cette entreprise, il n’y pas de système de promotion et les primes au rendement sont déterminées par les collègues. Les employés sont motivés par la mission de l’entreprise. On les encourage à créer des ententes formelles, sorte de plan opérationnel, avec les associés au projet pour assurer le bon fonctionnement : définition des domaines d’activité, tâches à exécuter, indicateurs de performance, processus de gestion des conflits et des prises de décision, etc. De plus, l’entreprise a investi dans un Institut d’autogestion, le Self-Management Institute. Ce centre a pour but de développer les aptitudes des employés notamment le leadership, l’initiative, la motivation et la créativité.
On peut affirmer que l’approche autogérée constitue une petite révolution comparativement à la structure avec niveaux hiérarchiques encore bien implantée. De manière générale, les grandes entreprises qui ont intégré l’autogestion ont procédé par étapes échelonnées sur plusieurs années. Souvent elles ont débuté avec une organisation aplatie pour ensuite évoluer naturellement vers l’autogestion. Disons-le, pour une grande entreprise, effectuer un tel changement tout en poursuivant ses activités est très exigeant.
L’organisation mixte
Ce mode d’organisation oscille entre la hiérarchie et l’autogestion. On le retrouve souvent dans les entreprises pour lesquelles le développement de produits innovants est leur raison d’être. On crée alors un incubateur innovation géré par une cellule particulière.
Des entreprises comme Google, 3M et l’Oréal avec son incubateur technologique ont opté pour ce modèle de gestion. Les cellules formées d’employés réunis pour réaliser un projet opèrent de manière autonome. Elles ont accès à beaucoup de ressources avec moins de bureaucratie. Leur objectif est d’amener des projets de longue haleine comportant un haut niveau d’incertitude à l’étape de la faisabilité. Fonctionnant un peu à l’écart du reste de l’entreprise, cette nouvelle structure flexible évolue à l’intérieur d’un groupe plus grand organisé de manière plus hiérarchique. À l’opposé, ce type d’équipe ad hoc pourrait tout aussi bien évoluer dans une structure autogérée à l’intérieur de laquelle un groupe hiérarchisé pourrait être constitué selon les requis. En général, les entreprises converties à cette approche sont de nature très dynamique, leur structure évoluant en fonction de leurs besoins.
En conclusion
Rien n’est parfait et les modèles de gestion abordés dans cet article impliquent d’importants changements tant au niveau de la structure organisationnelle que des comportements des personnes. Nous voulions orienter votre réflexion sur certains aspects susceptibles de vous aider à passer à la prochaine étape.
Aucune de ces structures n’est meilleure que l’autre; certains éléments de l’une pourraient cependant mieux convenir à la réalité de votre enteprise. Inutile donc de penser tout changer d’un seul coup ou trop rapidement. Vous aurez besoin de vous allouer du temps et de mettre à l’essai certains changements. Dans cette opération, la technique des petits pas est tout indiquée pour tester, réajuster et se permettre d’échouer à certains moments.
Dans la catégorie des organisations autogérées, de nouvelles approches commencent à voir le jour telles l’holacratie et l’harmocratie. Même si elles sont encore au stade de développement et d’expérimentation, ces approches de gestion méritent d’être considérées car elles pourraient modifier profondément certains paramètres de l’entreprise telle que nous la connaissons. Nous traiterons de ces deux approches dans un prochain article.
Sources :
Deloitte. Insights (2019), Leading the social enterprise : Reinvent with a human focus
Forbes, Jacob Morgan (2015), The 5 types of Organizational structures
Morgan, J. (2015), Self-Management: The story Behind Morning Star’S Success [Enregistré par The Futur of Work]
Olivier Schmouker (2018), Révolution managériale à la Banque Nationale. Les Affaires, 12
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