Par Philippine Loth, chargée de projets à l’IDP
La gestion des matières résiduelles affecte les entreprises dans leur quotidien. C’est un poste de dépenses et un aspect logistique important. Or, la récente publication du Plan d’action 2019-2024 de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles, qui prône entre autres la modernisation des systèmes de gestion, va entrainer la responsabilisation accrue des entreprises. Qu’en est-il au juste?
Afin d’améliorer la performance du Québec en matière de récupération et de recyclage des matières résiduelles, le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, M. Benoit Charette, annonçait en février dernier une modernisation du système de collecte sélective fondée sur le principe de la responsabilité élargie des producteurs (REP). Un budget totalisant 30,5 M$ pour cinq programmes d’aide financière permettra de soutenir et d’accompagner les différents acteurs dans cette transition. Ces programmes seront gérés par RECYC-QUÉBEC.
Cette modernisation du système de collecte sélective survient alors que les centres de tri de la province sont saturés de matières recyclables en raison des mesures prises par certains gouvernements d’Asie qui exigent désormais des matières mieux triées, moins contaminées et exemptes de déchets.
Fondée sur le principe de la responsabilité élargie des producteurs, cette réforme veut encourager les entreprises productrices de matières résiduelles à assurer une saine gestion de ces matières à chaque étape de leur cycle de vie. Qu’est-ce que cela signifie pour celles-ci : contraintes ou opportunités? Voyons d’abord les faits saillants de cette refonte.
Modernisation des systèmes de gestion des matières recyclables
Le Plan d’action 2019-2024 de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles intitulé « Récupérer plus, recycler mieux » comporte cinq grandes mesures. L’une d’elles, la modernisation des systèmes de gestion des matières recyclables, est celle qui fait l’objet du présent article en raison de ses impacts sur les entreprises. Pour mieux en comprendre la portée, voici les principales actions que propose le Plan.
Première action :
Réviser les rôles et responsabilités des entreprises et municipalités afin d’optimiser le système de collecte sélective et le système de consignation et d’améliorer la qualité des matières récupérées, triées et recyclées.
Avec un objectif de recyclage des matières de 75 % d’ici 2023, le gouvernement veut responsabiliser davantage les entreprises qui mettent en marché des contenants, des emballages, des imprimés et des journaux.
Actuellement les entreprises versent une compensation financière aux municipalités et assument la majorité des coûts de la collecte sélective, mais elles n’ont aucune implication dans la gestion des opérations. Au terme de cette réforme, elles prendront en charge le cycle de vie complet de leurs produits, de leur mise en marché à la fin de vie. Elles devront donc s’occuper de leur récupération, leur tri, leur conditionnement et leur recyclage. Cela permettra une implication directe dans les opérations et la gestion des coûts associés.
Lorsque cette réforme sera en vigueur, les producteurs devront atteindre des objectifs de récupération et de recyclage fixés par règlement. Des pénalités ou l’obligation d’investir dans l’amélioration du système seront prévues en cas de non-atteinte des objectifs. Les producteurs auront également l’obligation d’établir des partenariats avec les villes et les organismes municipaux, qui continueront à assurer les services de proximité avec les citoyens pour la collecte et le transport des matières recyclables.
Deuxième action :
Moderniser les centres de tri et assurer une meilleure uniformisation de leurs pratiques pour favoriser le développement de débouchés locaux et améliorer la traçabilité des matières vendues
La modernisation du système de gestion des matières recyclables passe obligatoirement par l’actualisation des équipements des centres de tri et l’uniformisation de leurs pratiques. Ici c’est le Programme de soutien à la modernisation et au développement des centres de tri qui est mis en œuvre pour accompagner les centres collectant les matières issues de la collecte municipale, des industries, commerces et institutions ainsi que les résidus de construction, rénovation et démolition.
L’objectif : accroitre leurs capacités de tri et le volume de matières récupérées, et améliorer la traçabilité des matières vendues. Les entreprises auront ainsi accès localement à des gisements de matières recyclées de meilleure qualité et en plus grande quantité tout en ayant une meilleure traçabilité.
Troisième action :
Développer de nouveaux marchés et diversifier les débouchés pour les matières récupérées et triées en encourageant au maximum l’innovation et l’économie circulaire
Cette action est en lien avec le Programme de soutien au développement des débouchés et d’innovations technologiques pour le traitement de matières résiduelles au Québec qui vise à épauler financièrement des projets qui vont diminuer les quantités éliminées au Québec et améliorer l’utilisation de matières résiduelles comme ressources selon les principes de l’économie circulaire. Les projets qui découleront de ce programme permettront une réelle adéquation entre ce qui sort des centres de tri et les attentes des entreprises.
En somme, la réforme du système de collecte sélective vise une performance à la fois économique et environnementale. Elle contribuera à hausser le taux de recyclage, tout en permettant aux centres de tri de trouver des débouchés locaux aux matières qui seront valorisées et réduiront le recours à l’enfouissement. L’industrie réduira ainsi sa vulnérabilité à l’égard des fluctuations de prix et des marchés.
Prenez avantage de la réforme!
Dans l’article « Green and Competitive : Ending the Stalemate », Michael E. Porter et Claas van der Linde ont illustré l’impact positif que de nouvelles normes environnementales peuvent avoir sur les entreprises. Selon eux, l’obligation de se conformer peut les amener à réfléchir à de nouvelles façons d’optimiser l’utilisation des ressources. De ce fait, l’imposition de nouvelles normes augmente la probabilité de voir apparaitre des innovations de produits et de processus plus respectueuses de l’environnement.
« Une bonne réglementation environnementale crée une opportunité maximale pour l’innovation : elle oblige les entreprises à trouver des solutions à leurs problèmes. De plus, les coûts liés à se conformer aux nouvelles exigences règlementaires peuvent être minimisés, voire éliminés, grâce à l’innovation qui offre d’autres avantages concurrentiels. »
Transformez la responsabilité accrue des entreprises en opportunités
Certes, cette modernisation du système chamboule les entreprises qui mettent sur le marché des contenants, emballages et imprimés. Mais nous pouvons aussi y voir de grandes opportunités d’innovation durable. Les uns trouveront des solutions pour réduire leur production de matières résiduelles; d’autres utiliseront ce qui sortira des centres de tri comme filon d’approvisionnement responsable local et de bonne qualité.
À cet égard, RECYC-QUÉBEC a actuellement deux appels de propositions en cours pour accompagner les organisations. Le premier vise à les soutenir financièrement afin de favoriser la transition vers l’économie circulaire par la mise en place ou l’expansion de symbioses industrielles et territoriales, et de toute autre stratégie d’économie circulaire pertinente.
L’autre appel de propositions vise la promotion de la réduction de l’utilisation et du rejet de plastique à usage unique. Les projets soutenus devront miser sur la réduction à la source et le réemploi en vue de détourner un volume appréciable de matières résiduelles des lieux d’élimination ou de réduire la pollution occasionnée par le plastique.
L’occasion d’innover
La conformité à une règlementation environnementale fournit une opportunité à la fois économique et compétitive. Au lieu de s’accrocher à une perspective axée sur l’obligation de se conformer, les entreprises peuvent s’interroger sur les potentiels d’amélioration. Qu’est-ce que nous gaspillons? Comment pourrions-nous améliorer la valeur client? Comment optimiser l’utilisation des ressources? Comment concevoir différemment?
Soyez proactifs! Il existe de réelles opportunités pour réduire le gaspillage de ressources grâce à des innovations qui repensent la conception des produits, optimisent vos opérations, réduisent vos matières résiduelles en les rendant utiles à d’autres industries. Sans parler des innovations de service qui permettront d’allonger la durée de vie des biens ou d’en bonifier l’usage. Cette refonte du système de gestion des matières résiduelles comme les autres règlementations environnementales représente une réelle opportunité d’action. Soyez précurseurs, prenez en avantage pour innover.
Cette nouvelle réforme entrera progressivement en vigueur à l’automne 2022 sous réserve de son adoption par l’Assemblée nationale. Comme son déploiement sera fait sur une période de trois ans, le système pourrait être pleinement opérationnel à l’été 2025.
Des éléments de cette réforme sont encore à clarifier; les révisions légale et règlementaire doivent se faire dans les prochains mois. Des périodes de consultation sont prévues au cours desquelles les entreprises, les organisations et tous ceux qui le souhaitent pourront émettre des commentaires pour bonifier le travail. Si vous souhaitez y participer, consultez régulièrement les sites du ministère de l’Environnement et de RECYC-QUÉBEC pour connaitre les dates.
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Nos remerciements à Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente Performance des opérations chez RECYC-QUÉBEC qui nous a aidé à mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette réforme.
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