Par Guy Belletête, cofondateur, vice-président Affaires stratégiques et conseiller sénior à l’IDP
La COVID-19 a mis à mal les chaines d’approvisionnement dans plusieurs secteurs d’activité économique : pénuries, ruptures de stock, délais de livraison, explosion de la demande, etc. Soudainement, on a pris conscience de notre vulnérabilité à l’égard de certains fournisseurs. Et si on repensait de manière plus stratégique les approvisionnements dans le développement de nos produits. Guy Belletête nous suggère ici quelques pistes de réflexion.
La COVID, un révélateur…
L’expérience de la COVID-19 nous a démontré crûment les effets du manque de certains produits, auparavant considérés comme accessoires, et qui sont tout à coup devenus essentiels. La pandémie a mis au grand jour notre vulnérabilité et notre dépendance à des produits venant du bout du monde. Cette crise sanitaire a également entraîné de nouvelles habitudes de consommation qui se sont traduites par un accroissement de la demande pour certains biens, des ruptures de stock chez les détaillants pour d’autres, les fabricants n’arrivant plus à répondre à cette demande devenue imprévisible.
Plusieurs secteurs économiques ont toutefois connu des ruptures de stock dont la cause n’était pas liée à la COVID, pensons aux composants électriques et électroniques. Au Canada, la « crise ferroviaire » de 2020 en a rendu plus d’un nerveux avec des stocks qui ne pouvaient être acheminés comme prévu. Et rappelons-nous la vague de froid texane qui a entrainé des problèmes de cybersécurité et gelé les livraisons de polymère, entrainant une augmentation de prix de certains produits de l’ordre de 90 %.
…mais les signaux étaient déjà là!
Nous avions cru ces chaines de valeur sans risque et à l’abri de toutes perturbations. Nous avons mis des années à optimiser nos chaines d’approvisionnement pour obtenir les prix les plus bas et avons bâti nos systèmes manufacturiers sur l’hypothèse que tout était prévisible. Nous constatons aujourd’hui à quel point notre niveau de dépendance à ces chaines de valeur tendues nous met à genoux dans plusieurs domaines.
À ce propos, une récente étude de Deloitte sur nos chaines industrielles révèle des faits extrêmement intéressants et propose des alternatives locales à l’importation de biens étrangers. De fait, l‘achat local est un élément qui peut contribuer à sécuriser les approvisionnements et constituer un avantage économique dans plusieurs secteurs d’activité. Du reste, l’intérêt grandissant des consommateurs pour l’achat local amène les entreprises à considérer davantage cette avenue.
Le plus bas coût et le calcul des risques
Plutôt que d’exiger de nos responsables des achats les prix les moins chers, comme la pratique du plus bas soumissionnaire en matière d’achats publics, ne devrait-on pas reconsidérer la gestion des approvisionnements d’un point de vue plus stratégique? Développer une vision plus globale de notre gestion des achats? Et si on tenait davantage compte des risques encourus quant à la disponibilité des biens dans le temps, des délais de livraison et des nécessaires exigences de qualité? Prenons le cas suivant (voir encadré), un bel exemple qui illustre l’importance des choix d’approvisionnement dans le cadre d’un projet de développement de produit.
Une entreprise profite d’une foire commerciale pour faire l’annonce d’un tout nouveau produit au design très attrayant. En cours de conception, les responsables se rendent compte que leur fournisseur asiatique de longue date, s’il peut rencontrer les exigences audacieuses du design, ne le fait pas au coût souhaité. L’entreprise décide donc de se tourner vers un nouveau fournisseur capable de relever le défi. Lors du développement, différents problèmes vont faire surface et les délais s’allonger. On réalise alors qu’il n’est pas si simple de répondre à l’audacieux design avec une qualité constante. En conséquence, le « bon » produit répondant aux attentes sera mis en marché 12 mois plus tard que la date prévue. Lors du post mortem du projet, on constatera que les ventes perdues en raison de ce retard sont de l’ordre de plus de 100 000 $, ce qui a réduit considérablement les coûts sauvés avec ce nouveau fournisseur. |
---|
En rétrospective, n’aurait-il pas été préférable d’accepter le prix du fournisseur habituel, quitte à perdre un peu de marge au début et à optimiser le tout plus tard? Évidemment, il est toujours plus facile d’être critique après coup. Mais ce cas est loin d’être anecdotique et plus fréquent qu’on ne le pense dans l’industrie.
Coût total d’acquisition
Il existe différents outils pour évaluer les risques liés à l’approvisionnement. Harry Moser, fondateur du mouvement Reshoring Initiative, a démontré avec maints exemples à l’appui que l’avantage du plus bas coût sur un produit/composant provenant de fournisseurs asiatiques est souvent surévalué quand on tient compte des inconvénients et des risques.
Moser a mis au point le « TCO Estimator », une formule qui calcule le coût total d’acquisition (TCO en anglais) qui tient compte des risques et non seulement du coût d’achat. Cet outil permet d’évaluer et de comparer les résultats d’un achat selon plusieurs sources. Des outils sous forme de grilles de calcul sont disponibles sur son site.
Plus près de nous, l’ECPAR (Espace québécois de concertation sur les pratiques d’approvisionnement responsable) offre un webinaire de formation sur le sujet et un outil similaire basé sur une approche de responsabilité environnementale qui vaut la peine d’être utilisé.
Intégrer l’approvisionnement dans le processus de développement de produits
Dans cet esprit, je me suis demandé si nous ne devrions pas réévaluer nos chaines d’approvisionnement pour développer des produits gagnants. La réponse est claire : les approvisionnements représentent une partie importante de ce processus qu’on ne peut ignorer. Il s’agit même d’un des maillons cruciaux.
Comment imaginer la conception d’un nouveau produit/service sans la participation des responsables des achats pour nous informer des prix, de la disponibilité des matières premières ou d’une composante, de la fiabilité d’un fournisseur ou pour en qualifier un nouveau? Et lorsque la fabrication est réalisée à moindre coût en Chine, comment s’assurer que la qualité attendue sera au rendez-vous? Obtenir cette information tôt dans le processus s’avère important. Dans certains cas, l’expertise même de ce maillon de la chaine de valeur deviendra un atout dans la création du nouveau produit.
En conclusion
Le développement d’un nouveau produit est une raison de plus pour revoir notre approche en matière d’approvisionnement, pour prendre de meilleures décisions d’achat et ne pas se laisser leurrer par le bas coût d’un composant. Pourquoi ne pas profiter d’un tel projet pour considérer vos approvisionnements d’un point de vue stratégique?
Certaines organisations ont d’ailleurs intégré la fonction d’acheteur stratégique sous la gestion du responsable de l’innovation et du développement de produits dans le but d’en accroitre la performance. Lisez l’article paru dans iD Nouvelles à ce sujet.
Et quand on y pense, plusieurs fonctions autres que la R-D et l’ingénierie ont une contribution significative dans les projets de développement de nouveaux produits en fournissant de l’information essentielle à leur succès. C’est un travail d’équipe comme on dit.
Guy Belletête est cofondateur de l’IDP dont il a été le directeur général pendant 17 ans. Excellent vulgarisateur, il concentre maintenant son activité sur la formation, le conseil en entreprise et le développement de contenu pour l’IDP. Il est aussi chargé de cours et conseiller universitaire à la maîtrise en ingénierie de l’Université de Sherbrooke ainsi qu’au programme Management de l’innovation de l’Université de Grenoble en France.
Comments are closed.