Ce quatrième article d’une série de cinq aborde un sujet plus large que la seule technologie de l’impression 3D. Pour bien saisir tout le potentiel de l’impression 3D, et son impact sur la fabrication des produits, il est primordial de bien comprendre la promesse ultime de la transition numérique qui englobe plusieurs technologies.
L’impression 3D est une technologie innovante en pleine effervescence. Au Québec, peu d’entreprises connaissent tout le potentiel de cette nouvelle technologie appelée à révolutionner les pratiques en conception et fabrication de produits. De concert avec le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), l’IDP vous propose une série d’articles sur cette technologie et ses impacts*. Voici le quatrième volet d’une série de cinq.
Industrial Conveyor with cardboard Boxes connected to Laptop Screen. Blue theme.Dans les articles précédents, nous avons vu comment l’impression 3D est un outil de prototypage facilitant le développement de produits, accélérant l’innovation. Nous avons également constaté son impact positif sur la chaine de valeur des entreprises. Plus qu’un outil, l’impression 3D est également un instrument de la transition numérique dans le monde manufacturier. Comment les entreprises abordent-elles cette « révolution »?
La rédaction de ce quatrième volet s’inspire largement d’entrevues réalisées auprès de deux professionnels impliqués dans le secteur manufacturier. Il s’agit de Antoine Audy-Julien, stratège d’affaires chez Deloitte, engagé dans la réalisation de l’étude annuelle « Le point sur le Québec manufacturier ». Il est également impliqué dans la tournée que fait Deloitte à travers le Québec afin de sensibiliser et de mobiliser les leaders d’opinion dans tout l’écosystème manufacturier. Puis de Corinne Chabot, agent de recherche, Vision et traitement numérique au CRIQ, pour son implication et expertise dans le développement de projets numériques pour des entreprises clientes. Nous les remercions pour leur précieuse collaboration.
Que signifie industrie 4.0 ?
L’Industrie 4.0, c’est l’arrivée du numérique dans le monde industriel dont les activités ne sont pas directement liées à l’acquisition et à l’exploitation des données. Pour Corinne Chabot, agent de recherche, « la transition numérique correspond à l’utilisation combinée de technologies provenant des sphères physique et numérique dans la gestion de la chaine de valeur des entreprises. »
Plus précisément, c’est l’appropriation par les entreprises des technologies qui permettent la captation, l’exploitation et la valorisation des données. Dans la sphère numérique, on parle par exemple d’intelligence artificielle, de réseaux de neurones et de mégadonnées, etc. Tandis que dans la sphère physique, ce sont des technologies telles que la robotique collaborative, RFID, la vision artificielle, l’automatisation, l’impression 3D, la réalité virtuelle, les matériaux intelligents, etc.
Pensons à l’automatisation, la robotisation, la vision artificielle, il s’agit pour une bonne part de technologies qui existent depuis plusieurs années. C’est la façon de les utiliser, de pair avec une quantité importante de données contextuelles, qui les rend mieux adaptées de nos jours. Leurs applications sont nombreuses, en voici quelques exemples : optimiser la productivité, calculer le prix de revient avec exactitude, prédire les dérives de procédés et optimiser l’ajustement des équipements, faire le suivi de la production ou de la traçabilité tout au long de la chaine logistique, etc.
« Ainsi, la majorité des technologies spécifiques de la transition numérique ne sont pas nouvelles; c’est la façon de les utiliser ou de les combiner qui, elle, est nouvelle. Si on prend l’impression 3D, les matériaux intelligents, les nanotechnologies, ces technologies ne sont pas nouvelles mais elles intègrent l’exploitation de données. C’est le fait d’avoir accès à des données et à une puissance de traitement de ces données qui est relativement récente et qui entraine l’émergence du 4.0 », nous précise l’agent de recherche du CRIQ.
Pour beaucoup de gens encore, la transition numérique est perçue comme une mode passagère, un amalgame de quelques technologies. Au contraire, nous dit Antoine Audy-Julien, stratège d’affaires, « la transition numérique n’est pas qu’une technologie; c’est non seulement une façon de repenser la production mais aussi notre façon de travailler, de collaborer avec nos partenaires. » Il spécifie : « la transition numérique implique une transformation complète de l’organisation, le 4.0, un changement de paradigme qui va affecter jusqu’à la pérennité même de l’entreprise. »
Comme pour les révolutions industrielles précédentes, où on s’est permis de rêver, la promesse ultime de la révolution numérique est la possibilité de fabriquer des produits unitaires au même prix qu’une production de masse. Tel qu’abordé dans un précédent article de ce dossier, cette révolution ouvre ainsi la voie à la personnalisation des produits, en demande croissante chez les consommateurs et ce, d’une manière viable pour les entreprises.
Opportunités pour les entreprises…
Pour la majorité des entreprises, les opportunités d’affaires débordent le territoire local ou régional. Aujourd’hui, les différents accords de libre-échange, tels l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, l’ALENA en Amérique du Nord ou bien le Partenariat transpacifique (PTPGP) ouvrent les marchés internationaux aux entreprises québécoises.
Dans ce contexte, la transition numérique offre un grand potentiel de transformation des organisations et de leur environnement d’affaires et devient ainsi un facteur de compétitivité et de pérennité. L’utilisation de technologies numériques est un moyen de demeurer un joueur d’importance dans son marché.
Selon Antoine Audy-Julien, « les gens sous-estiment grandement l’impact de la numérisation sur leurs opérations et leur concurrence. Si pour eux cet enjeu ne leur apparait pas déterminant, ça risque de l’être pour un de leurs concurrents, de creuser l’écart…et de se faire marginaliser dans leur propre marché. »
« Dans une économie de plus en plus mondialisée, les chances que ta compétition provienne d’outre-mer sont élevées. Avant, tes compétiteurs c’étaient tes voisins. Aujourd’hui, ils peuvent être partout sur Internet à offrir des produits similaires aux tiens, à une fraction du prix. En tant que manufacturier, tu ne peux pas ignorer cette nouvelle réalité », spécifie l’agent de recherche Corinne Chabot.
Par ailleurs, l’étude très récente de Deloitte, « Soutenir la production locale des entreprises du Québec », qui a fait la une du journal Les Affaires le 2 mai dernier, fait valoir les opportunités que représenterait le fait de fabriquer au Québec des produits actuellement importés et dont le volume est très élevé. Les auteurs de cette étude ont identifié environ 40 catégories de produits provenant de six (6) filières industrielles. Toutefois, pour réaliser cette substitution, les entreprises québécoises doivent être encore plus compétitives. Et l’amélioration de la productivité passe obligatoirement par l’utilisation des technologies numériques. On n’y échappe pas. La révolution 4.0 est le moteur de cette compétitivité pour les entreprises d’ici, sur la scène internationale.
La transition numérique, c’est aussi se donner la flexibilité de produire pour répondre aux besoins des clients en temps réel. Ni plus, ni moins! Les données étant la trame de fond de cette transition, tout évènement susceptible de perturber la chaine de fabrication doit facilement être pris en compte dans ce contexte de connectivité. Qu’il s’agisse d’un changement à la commande ou d’un bris d’équipement, cette flexibilité permet d’ajuster le déroulement des activités pour rétablir le plus rapidement possible le flux désiré de production. Cette réactivité est supportée par la mise en place de tableaux de bord qui illustrent l’évolution des données selon des objectifs propres à chaque entreprise.
… Et implications
« La transition numérique ou l’usine 4.0, c’est plus complexe que d’acheter simplement un routeur! » de s’exclamer Antoine Audy-Julien. Selon Corinne Chabot, « les entreprises devront faire preuve d’ouverture et bien s’informer pour adapter l’exploitation des données à leurs objectifs stratégiques. » Pour elle, la transition numérique, c’est pour beaucoup de la gestion du changement :
« C’est certain qu’il y a un investissement à faire et que les dirigeants doivent y croire pour investir temps et énergie à mettre en place, un projet à la fois, et à gérer les bouleversements que cela peut entrainer. »
En outre, la transition numérique soulève tout un enjeu de formation de la main-d’œuvre et de recrutement de nouvelles compétences. Les technologies numériques telles que l’intelligence artificielle, la modélisation industrielle, la maintenance prédictive d’équipements numériques requièrent de nouvelles compétences en informatique. Nous verrons donc apparaitre de plus en plus d’experts en mégadonnées (data scientists) aptes à faire l’analyse et l’exploitation de toute cette abondance de données.
Incitatifs financiers
Et, parallèlement au défi des nouvelles compétences requises, se pose celui de l’investissement financier nécessaire pour initier cette transition. Car, c’est loin d’être évident pour l’entrepreneur d’évaluer avec précision les gains en compétitivité que peut engendrer la numérisation des opérations. Comparativement à l’achat d’un équipement dont on peut calculer concrètement l’augmentation de la productivité et le temps d’amortissement (ROI), la nature intangible du numérique rend plus difficile la justification des investissements requis.
« La façon d’estimer la valeur des investissements devra être adaptée. Le ROI ne s’exprime plus seulement en termes de productivité, mais bien de compétitivité. Il ne s’agit plus de financer une augmentation de la cadence de production. On parle d’accès à de nouveaux marchés, de nouvelles clientèles, voire de s’assurer de ne pas devenir obsolète dans son propre marché », précise Corinne Chabot. »
C’est aussi l’avis d’Antoine Audy-Julien qui s’attend à une réceptivité des institutions financières en ce sens. « Les institutions financières devront être ouvertes à ce que les entreprises puissent rembourser leur emprunt sur une base de résultats atteints plutôt que de façon linéaire, dans le temps. C’est aussi un changement de paradigme qu’elles ont déjà amorcé. »
Chaque demande de financement sera unique et devra répondre spécifiquement aux besoins de l’entreprise en fonction de son marché et de ses objectifs stratégiques. En ce sens, des institutions financières telles que la Banque Laurentienne et Investissement Québec offrent de plus en plus de produits adaptés à cette nouvelle réalité que représente le défi de la transition numérique.
D’autre part, pour accompagner et inciter le plus grand nombre d’entreprises manufacturières à entreprendre le virage numérique, le ministère Économie, Science et Innovation (MESI) du Québec a lancé le programme Audit industrie 4.0. Il s’agit d’un outil diagnostic pour évaluer le degré de maturité numérique d’une entreprise. Cette démarche d’audit, qui se fait en entreprise, est assortie d’une aide financière, une contribution non remboursable pouvant atteindre un maximum de 15 000 $. Cinq organismes ont été mandatés pour réaliser cet audit, dont le CRIQ et STiQ. Enfin, si vous voulez savoir si la transition numérique est pour votre entreprise, le MESI propose sur son site de faire votre propre autodiagnostic en ligne.
Réceptivité des entreprises
Selon Corinne Chabot et Antoine Audy-Julien, le degré de réceptivité des entreprises à l’égard de la transition numérique est très variable, allant d’un certain conservatisme (« on a toujours fait cela comme ça, pourquoi on changerait ») en passant par un intérêt plus ou moins actif, vers l’engagement.
L’agent de recherche du CRIQ a observé trois profils d’entreprise qui démontrent de l’intérêt pour le virage numérique :
- Celles qui s’engagent dans la transition numérique. Souvent elles vivent une crise et sont prêtes à tout pour s’en sortir. Elles comprennent bien les enjeux liés à la pérennité de leur entreprise dans leur marché.
- Celles qui ont déjà une connaissance approfondie des technologies numériques. Percevant moins de risque que d’autres entreprises, elles font donc le saut plus facilement dans cette transition.
- Puis celles qui montrent de l’intérêt sans toutefois ressentir d’urgence. La prise de risque semble importante et plus ou moins justifiée.
Le stratège d’affaires, quant à lui, constate que peu d’entrepreneurs québécois prennent conscience des opportunités liées à la transition numérique. À son avis, le concept de transition numérique ou de révolution 4.0 est encore abstrait pour plusieurs. Le lien entre transition numérique et amélioration de la compétitivité est loin d’être une évidence pour tous. Dans ce contexte, on ne comprend pas trop bien l’importance ni l’urgence de s’y investir. Il y a encore un important travail de conscientisation à faire pour amener les entreprises à amorcer des projets d’investissement en ce sens.
Antoine Audy-Julien avance une autre explication : la vision court terme qui caractérise les entreprises. Il faut dire qu’elles vivent au quotidien dans l’urgence, ce qui les amène trop souvent à repousser les projets d’investissement et de formation du personnel. D’autres encore attendent la relève d’une main-d’œuvre plus jeune, plus « techno-friendly » avant d’investir dans des équipements numériques. Enfin, nombre d’entre elles s’appuient sur quelques personnes aux fonctions clés, habituées à des méthodes de travail traditionnelles, aux dépens de leur intégration au numérique.
Compte tenu de ces freins, Corinne Chabot croit que « la clé consiste d’abord à s’informer et à s’outiller et ce, à tous les niveaux de l’entreprise. Il ne faut pas espérer tout changer d’un seul coup. » Elle recommande plutôt de « commencer avec des projets pilotes dans les différentes unités de l’entreprise pour se familiariser avec ces technologies, apprivoiser la valorisation des données. »
L’impression 3D, un outil de la transition numérique
Quel est donc le rôle de l’impression 3D dans cette transition numérique? Pour ceux et celles qui ont lu les précédents articles de ce dossier, vous avez probablement noté certains concepts qui reviennent constamment lorsqu’on aborde la transition numérique. Par exemple, l’abondance de données aujourd’hui permet à l’entreprise de connaître rapidement et de manière détaillée :
- l’évolution de ses marchés;
- les domaines d’intérêt de ses clients;
- les habitudes et comportements des consommateurs et utilisateurs;
- les étapes de sa chaine logistique;
- les équipements de sa chaine de fabrication;
- etc.
Les entreprises doivent maintenant prendre en compte toutes ces données dans le but de répondre adéquatement et rapidement aux demandes de plus en plus personnalisées des consommateurs. Elles doivent s’outiller pour tirer avantage des données dans un monde manufacturier en plein cœur d’une révolution!
L’impression 3D s’inscrit dans cette tendance. Comme le résume bien Antoine Audy-Julien, il s’agit d’une technologie de fabrication qui permet de bénéficier des trois avantages suivants :
- Une offre hyper personnalisée des produits
“The 4P’s are out, the 4E’s are in” - De la complexité à faible coût
Produire une unité personnalisée au coût d’une production en série - Du prototypage rapide pour accélérer le développement de produits
“Fail fast to succeed faster!” (David B. Saint John, directeur de l’innovation chez Linamar)
Le succès des entreprises viendra de leur intérêt à s’approprier la transition numérique, en faisant les bons choix d’outils et de technologies. Qui sait si l’impression 3D n’amorcera pas votre transition? Chaque entreprise devra adapter sa stratégie pour améliorer sa compétitivité dans son marché, un projet d’investissement à la fois. Différentes ressources sont à leur portée pour les accompagner et les aider à faire cette transition le plus efficacement possible, sans trop de heurts.
Prochain article
Le prochain article conclura ce dossier sur l’impression 3D. Nous en profiterons pour porter un regard critique sur cette technologie. Nous prendrons un pas de recul par rapport à l’impact positif de cette technologie en entreprise pour aborder les enjeux environnementaux et sociétaux. Nous examinerons l’influence de cette technologie sur nos modes de consommation.
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* Ce dossier est piloté par David Fauteux, ing. jr, conseiller à l’IDP, avec la collaboration de Denis Lépine, ing., agent de recherche, Conception mécanique et fabrication additive, au Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ).
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