Par Bernard Lebrun, conseiller sénior en développement de produits à l’IDP
La Voix du client (Voice of Customers ou VoC) fait partie des démarches qui visent à mieux connaître ses acheteurs/utilisateurs dans le but de leur offrir des produits/services en adéquation avec leurs attentes. Jacquelin Labrecque, directeur R-D et gestion de produits chez Ro-Main, l’a bien compris. L’intégration du VoC dans le développement de leur nouveau produit, un compteur à cochons automatisé, a permis de diminuer les risques sur le parcours vers le succès commercial du Smart Counting. Illustration.
On pense connaitre les besoins de ses clients…
Généralement, les responsables de la R-D s’appuient sur leur expérience et leur connaissance du marché pour formuler des hypothèses qui vont les guider dans la conception de leurs nouveaux produits. S’ils éprouvent des doutes quant aux réels besoins et attentes du client, leur réaction sera souvent de les minimiser ou encore de les écarter en se confortant dans leur rôle et expertise. Vous avez probablement déjà entendu ces propos : « Nous on connait ça; nous sommes les experts. On sait comment ça marche. Ça fait des années que l’on fait ça comme ça! »
Nous vous présentons dans cet article le cas d’une entreprise d’avant-garde de la Beauce, Ro-Main, qui a mis au point un tout nouveau produit utilisant l’intelligence artificielle : le Smart Counting, un compteur à cochons automatisé. À la tête d’une équipe multidisciplinaire composée d’une douzaine de spécialistes en informatique et en agriculture, le directeur R-D et gestion de produits de l’entreprise, Jacquelin Labrecque, ing., M.Sc. nous relate comment le recours aux pratiques du VoC peut amener plus rapidement le nouveau produit à un succès commercial et dynamiser son équipe.
Issue d’une entreprise familiale active dans la production porcine, Ro-Main conçoit et commercialise différents équipements et technologies pour aider les éleveurs de porc à optimiser leur entreprise. En activité depuis 1999, l’entreprise est passée de fabricants d’équipements agricoles spécialisés à entreprise de haute technologie. Environ 85 % de leurs ventes sont faites à l’exportation.
Deux versions du Smart Counting
Le développement du Smart Counting débute fin 2017. Cette première version du produit est mise au point, sans l’approche structurée du VoC, uniquement sur la base des connaissances des membres de l’équipe comme producteurs de porc. Comme s’ils le concevaient pour leurs propres besoins et utilisations. Les premières livraisons aux clients débutent au printemps 2019.
« On naviguait toujours sur des hypothèses faites par nos gens à l’interne parce que nous sommes les soi-disant ‘’experts’’ du marché chez Ro-Main. Et comme tout bon développeur de produits, on pense toujours que ça va se vendre comme des petits pains chauds. »
Assez rapidement, les dirigeants constatent que le Smart Counting ne rencontre pas les résultats de ventes escomptés. En ciblant les gros joueurs qui ont des centaines à des milliers de fermes, l’objectif était d’en équiper chacune d’un compteur. Malgré l’intérêt suscité par le produit, ce n’est pas ce qui est arrivé.
« Notre connaissance de l’industrie porcine a toujours été notre force. Mais là on s’est rendu compte à quel point on avait été biaisé, que notre produit n’était pas nécessairement adapté aux besoins des usagers, à leurs façons de l’utiliser, comme nous on l’aurait fait sur nos fermes familiales. »
Après les premiers retours d’information des clients, l’équipe de Ro-Main travaille à l’amélioration du produit, à une deuxième version. C’est à ce moment que le directeur de la R-D, déjà sensibilisé à la pertinence des techniques du VoC, requiert l’aide de l’IDP pour concevoir et mettre en application une opération structurée de consultation des clients.
« Au début, on pensait que nous n’aurions recours aux techniques du VoC qu’une seule fois et que cela allait nous révéler tout ce qu’il y avait à savoir sur le produit. Lors du premier VoC, on a obtenu les grandes lignes de ce que devrait être notre produit dans le futur, mais en même temps cela a soulevé plusieurs autres questions. On n’a donc pas eu le choix de continuer les VoC. »
C’est ainsi que, sur une période de deux ans, plusieurs activités VoC ont été effectuées à différentes étapes de la conception et de la commercialisation du Smart Counting. Ces consultations ont permis de résoudre certains irritants (structure de l’offre) et de raffiner l’expérience produit (fonctionnalités, facilité d’utilisation, etc.)
« Même pour le plus simple des produits, comme le compteur à cochons, il ne faut pas échapper les détails. Un de nos gros défis n’a pas été de garantir la précision du comptage, mais bien que l’usager puisse l’utiliser correctement et facilement. »
Le réflexe VoC intégré dans la culture de l’entreprise
Aux dires de Jacquelin Labrecque, les gens de l’équipe R-D ont manifesté beaucoup d’intérêt à l’égard de l’approche VoC et ce, dès le départ. Il n’y a eu aucune réticence à adopter cette pratique. Au contraire. « Ce réflexe d’aller valider auprès du client, c’est quelque chose qui a énormément de valeur pour nous maintenant. » On peut même parler d’une habitude que les membres de l’équipe ont adoptée. Aujourd’hui, il arrive souvent que ce soient eux qui initient l’opération!
Il faut dire que l’expérience des VoC génère des résultats concrets et comporte plusieurs bénéfices :
- Gain de temps : plutôt que de développer, risquer de se tromper, de devoir recommencer. Et de se dire : on n’aurait pas dû le faire de cette façon.
- Diminution du risque d’échec : quand on développe un produit, on sait pourquoi on le fait. Pas seulement une hypothèse, on l’a validée.
- Motivation de l’équipe : avec l’expérience vécue, les gens savent qu’ils développent un produit qui répond à des besoins réels.
Il y a encore quelques années, la collecte et l’analyse de données relatives aux clients et à leurs opinions se faisaient manuellement ou via des instituts de sondage. Cette activité était plutôt coûteuse tant en argent qu’en temps. Aujourd’hui, grâce à Internet, il est relativement facile de rejoindre des clients et de faire des entrevues individuelles que plusieurs personnes peuvent observer en ligne.
Typiquement, une opération VoC chez Ro-Main implique quatre à cinq personnes de l’interne. Même dans les pays où l’entreprise exporte ses produits, les représentants ou les partenaires sont mis à profit dans ces entrevues, par exemple pour faire la traduction comme au Brésil. On reconnait également l’importance d’impliquer des gens de diverses compétences (R-D, marketing, ventes, etc.) pour observer et prendre des notes. Après les sessions, un brainstorming est organisé pour obtenir le feedback de tout le monde et dégager les pistes à explorer et actions à entreprendre.
« En posant les bonnes questions aux clients, on arrive à trouver les éléments critiques pour notre produit. Il ne faut pas voir les VoC comme de la magie. Il s’agit d’une conversation avec un client et d’en faire ressortir l’information de valeur de façon non biaisée. »
Comment faisait-on avant?
Selon le directeur R-D de Ro-Main, le VoC est un processus d’apprentissage. Il ne faut pas attendre de maitriser toutes les techniques de cette approche pour plonger dans le bain.
« Le faire mal, c’est mieux que de ne pas le faire! Il ne faut pas penser qu’on va être parfait! Quand on n’est pas habitué au départ, il ne faut pas être trop dur envers soi-même. Il faut quand même faire un retour après chaque entrevue et voir comment on pourrait être meilleur dans le futur. »
En fait, la pratique requiert une bonne ouverture d’esprit à l’égard des propos des clients. Il faut être particulièrement vigilant par rapport à nos propres biais, par exemple le biais de confirmation qui nous amène à sélectionner les informations qui renforcent nos croyances. Voici le conseil de Jacquelin aux personnes qui douteraient encore de la valeur des opérations de VoC :
« Tout bon entrepreneur va pouvoir apprécier la valeur de l’exercice en l’essayant. Donnez-vous un objectif simple, une chose que vous voulez savoir et qui peut représenter un risque pour l’entreprise. Allez parler à 7 ou 10 personnes représentatives de l’industrie, puis regardez ce que ça vous donne. C’est très probable que vous allez apprendre quelque chose! »
Avec son réflexe VoC et son équipe pour les réaliser, Ro-Main se donne les moyens pour conquérir d’autres marchés avec un solide produit et sa compréhension de la clientèle.
« On se rend compte maintenant que les experts internes doivent servir non pas à formuler des hypothèses mais plutôt à comprendre en profondeur ce que les clients nous disent et le traduire en orientations stratégiques et spécifications de produits, en collaboration avec les concepteurs. Bref, les VoC nous ont permis selon moi de faire un grand pas en avant. »
N.B. : Le programme de l’IDP « Les techniques du Voice of Customers » sera offert en janvier prochain. Pour tous les détails
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Bernard Lebrun est diplômé en design industriel et évolue depuis toujours dans le monde du développement de produits. Gestionnaire reconnu pour avoir occupé les postes de directeur général et directeur de la R-D au sein de diverses entreprises manufacturières telles que Maax et Premier Tech, il connait bien la dynamique des milieux entrepreneuriaux. Les dernières années ont été consacrées à des activités de
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