Par Louise Saint-Pierre, MBA, Communications IDP
Gérer un projet de développement de produits à forte composante technologique, avec les risques que cela comporte, peut drôlement ressembler à un projet de rénovation et s’avérer en bout de ligne beaucoup plus complexe, long et coûteux que ce qui avait été estimé au départ. Comment évaluer les risques? Conversation avec Claude Briand, conseiller en technologie industrielle pour le programme PARI du CNRC dont le rôle est d’accompagner les PME et d’investir dans leurs projets d’innovation les plus prometteurs.
Les projets de développement de produits, dans lesquels une nouvelle composante technologique non encore maîtrisée sera introduite, peuvent s’avérer plus risqués que ce qui avait été estimé au départ. L’entrepreneur aura beau dire « on est bon là-dedans, il n’y a pas de risque…on va réussir », comment prendre les bonnes décisions avant de s’engager dans un projet que l’entreprise ne pourra livrer? Comment évaluer les requis pour un déploiement réussi de la technologie dans le nouveau produit?
Nous avons discuté de ces questions avec Claude Briand, conseiller en technologie industrielle (CTI) pour le Programme d’aide à la recherche industrielle (PARI) du CNRC, qui accompagne des entreprises depuis 25 ans. Précisons que le rôle principal du CTI consiste à investir financièrement dans des projets d’innovation qui ont du potentiel et, à défaut de financement, accompagner les entreprises dans le but de bonifier leur projet et de faire en sorte qu’il soit viable à un moment donné.
IDP – Est-ce pertinent de parler de la maturité technologique d’un projet?
C.B. – Oui. Lorsque nous évaluons un projet, nous avons différents critères qui nous servent de balises pour prendre la décision d’investir ou non. Il y a une échelle pour cela, le système TRL (Technology Readiness Level). Il s’agit d’un outil d’évaluation du niveau de maturité d’une technologie.
Cette échelle comporte neuf niveaux de maturité, de faible (1) à fort (9). Plus le niveau est haut, plus la technologie est prête à être déployée sur le marché en tant que produit (par exemple, une application logicielle) ou composant à intégrer à un système. Au programme PARI, nous sommes plutôt dans les niveaux 7-8-9 mais nous ne suivons pas cette grille d’une façon stricte. Nous avons une certaine marge de manœuvre. Car, il y a 1000 raisons pour accepter un projet et 10 millions pour le refuser…Et c’est toujours à la discrétion de l’équipe qui évalue le projet.
IDP – Comment évaluez-vous qu’une entreprise contrôle la technologie dans son projet d’innovation?
C.B. – Je dirais d’abord que toutes les entreprises, jeunes ou aguerries, ont de la difficulté à évaluer le risque technologique dans leurs projets. Ça fait partie de la nature même de l’entrepreneuriat. C’est comme faire de la rénovation. Même si c’est le dixième projet que vous faites, ça finit toujours par coûter plus cher et prendre plus de temps. C’est la même chose pour les entrepreneurs. S’ils voyaient ce qu’il y a à l’intérieur du mur avant de le défaire, ils n’entreprendraient peut-être pas le projet.
L’entrepreneur peut anticiper qu’il va rencontrer des embuches mais il a aussi confiance qu’il va trouver des solutions viables, soit lui ou quelqu’un de son équipe. L’entrepreneur doit savoir surfer, embarquer sur sa planche au bon moment lorsque la vague arrive, ni trop tôt ni trop tard! Quand je regarde les entrepreneurs, certains partent de loin mais ils sont prêts à apprendre et à se casser les dents. « Je ne maitrise pas telle affaire mais je vais l’essayer. »
Personnellement, quand j’investis dans un projet, j’investis probablement plus dans le client lui-même, son équipe et sa capacité à se tenir debout en équilibre sur une planche de surf. On ne peut évaluer un projet en regardant uniquement la technologie. C’est comme si on se disait parce qu’il a une bonne planche, il va être un bon surfer! Oui, cela peut aider, mais c’est la personne sur la planche qui va faire qu’on va se rendre sur la plage ou dans les roches. La lecture de l’environnement, l’adaptabilité de l’entrepreneur, c’est ça qui augmente ses chances de réussir.
IDP – Ça tient beaucoup à la qualité de l’équipe et de l’entrepreneur…
C.B. – Quand l’entrepreneur me dit « c’est là que je veux aller », ma première question est de savoir si le profit en vaut la peine. Une fois qu’on s’entend sur son rêve, j’essaie de voir s’il a ce qu’il faut et ce qui pourrait lui manquer pour pouvoir atteindre le but.
Je regarde la capacité d’une équipe à tirer profit d’une situation technologique qu’elle ne maitrise probablement qu’en partie. Est-ce que cette équipe-là a les bretelles pour porter les culottes des profits anticipés? Est-ce qu’ils sont capables de se rendre là où ils veulent se rendre? C’est toujours cela que j’essaie de jauger.
Je connais des entrepreneurs à succès qui ne sont pas top sur le plan technique mais qui savent s’entourer. Chaque entrepreneur doit savoir se servir de ses forces. Parce que même si tu es bon en technologie, ça ne t’aide pas à gérer ton entreprise. De plus, une bonne équipe est composée de gens très différents les uns des autres. Il y a même place pour les pessimistes. Ce sont d’ailleurs les meilleurs gestionnaires de risque parce qu’eux, ce qui va mal, ils le voient…
IDP – Y a-t-il des façons de faire pour aider les jeunes entrepreneurs et les PME à mieux évaluer et gérer les risques dans leurs projets d’innovation?
C.B. – De façon générale, les entrepreneurs qui ne se concentrent que sur une seule chose (par exemple, « moi je suis bon en technologie ») vont se planter, car la réalité est beaucoup plus large que cela. Ça prend une vision à 360 degrés. Il suffit d’une seule chose qui peut se présenter et que tu n’as pas vue venir pour anéantir tes efforts; ça peut être un concurrent, l’évolution d’une technologie, une pandémie, et tout ton planning est bouleversé!
Tout entrepreneur a besoin d’informations et de différentes formes de soutien. Mais il doit lui-même être à l’écoute de son environnement, être aguerri à se poser les bonnes questions sur ce qui peut aller mal. Et s’il ne peut le faire lui-même, il faut qu’il y ait quelqu’un dans l’équipe qui le fasse. Est-ce qu’il y a une recette pour mieux évaluer les risques? Non, il n’y a pas de recette.
Pour que l’entrepreneur puisse avoir une vision globale de son environnement, ça prend des gens dans son équipe qui vont regarder différents aspects bien précis : technologiques, commerciaux, financiers, main-d’œuvre, etc. Ça prend une équipe complète. Mais la réalité, c’est que nous n’avons jamais d’équipe complète. Alors les personnes doivent porter divers chapeaux. Finalement, c’est la capacité de cette équipe-là de ramer tous ensemble dans le même bateau qui fait la différence.
En fait, il faut bien le dire : quand bien même vous auriez la maturité technologique pour faire quelque chose mais que vous n’avez pas la maturité entrepreneuriale pour le faire, vous n’irez nulle part!
N.B. : Soulignons que les opinions de Claude Briand émises dans cet article n’engagent que lui-même et ne reflètent pas nécessairement celles du CNRC. Il nous a toutefois précisé que ces propos correspondaient aux enseignements qu’il prodigue à des étudiants du 2e cycle à l’ÉTS dans le cadre d’un cours sur la stratégie d’innovation.
Louise Saint-Pierre se passionne tôt pour le développement de produits et collabore à l’IDP depuis la première heure. Son premier métier d’analyste en recherche marketing la prédispose à la communication sous toutes ses formes. Titulaire d’une maîtrise en psychologie sociale et d’un MBA en marketing, elle est curieuse de tout et admirative de l’énergie déployée par les entrepreneur(e)s.
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