par Louise Saint-Pierre, MBA, Communications IDP
A l’aube des 25 ans de l’IDP, le modèle des meilleures pratiques en développement de produits a-t-il toujours sa pertinence? Regard sur l’évolution de ces pratiques dans les entreprises et leçons apprises par le cofondateur et vice-président, Affaires stratégiques à l’IDP, Guy Belletête.
Point de départ
« En 1995, nous étions quelques-uns à croire que les entreprises avaient besoin d’être soutenues dans leurs efforts d’innovation. Nous parlions alors d’ingénierie simultanée dont le principe fondamental était de concevoir un produit en équipe multifonctionnelle avec une vue sur l’ensemble du travail à faire jusqu’à sa livraison sur le marché. »
C’est ainsi que s’ouvre cette conversation avec Guy Belletête, cofondateur de l’IDP et qui en a été son directeur général jusqu’en 2012.
Qu’avons-nous appris de ces 25 ans à côtoyer les praticiens de l’innovation? Depuis ses tout débuts, l’Institut s’est inspiré des enjeux et réalités que vivent les industriels dans leurs pratiques manufacturières pour approfondir sa compréhension de la gestion de l’innovation et du développement de produits, dans le but de faire émerger et de promouvoir les bonnes pratiques en ce domaine.
La première évidence est, bien sûr, le niveau accru de complexité que ces entreprises ont à gérer aujourd’hui, découlant d’une économie internationale, de la rapidité des avancées technologiques, de la révolution numérique et aujourd’hui, des défis de main-d’œuvre. Avec la mondialisation des marchés, les pressions pour se différencier se sont accentuées et poussent les entreprises, toutes catégories confondues, à adopter un rythme continu, souvent effréné, de développement et de mise en marché de nouveaux produits.
Qu’est-ce qui a changé, qu’est-ce qui donne toujours du fil à retordre aux entreprises? Guy Belletête nous propose un regard rétrospectif sur l’évolution de certaines pratiques au cours de ces années, basé sur ses observations des difficultés rencontrées par les gestionnaires de l’innovation et du développement de produits. Dans cette entrevue, il fait trois constats majeurs.
Comprendre les marchés : le marketing stratégique devenu impératif
Le développement de produits a pour but de répondre à des besoins de marché, connus ou prévisibles selon l’entreprise et sa stratégie. C’est l’essence même d’une entreprise de se positionner en offrant un produit/service pertinent qui va apporter de la valeur à l’entreprise. Dans ce contexte, la faisabilité commerciale des nouveaux produits/services est fondamentale.
Pour développer les bons produits, l’entreprise doit se préoccuper de la surveillance des marchés, de la cueillette et de l’analyse de données afin d’identifier les opportunités et le meilleur positionnement pour ses produits. Or, en 1995, excepté dans les grandes entreprises de biens de consommation, peu de PME avaient une fonction marketing comme telle; et si c’était le cas, les efforts étaient surtout centrés à soutenir les ventes, par ailleurs absolument nécessaire.
« À cette époque, au Québec, on faisait la promotion d’une approche production à valeur ajoutée et l’attention des gens de R-D était surtout de s’assurer de concevoir des produits pouvant être fabriqués. Au début de l’Institut, on commençait à douter de la pertinence de fabriquer efficacement un produit qui ne répondrait pas bien au marché visé. »
Dans la plupart des cas, les besoins identifiés chez les clients et les opportunités de nouveaux produits provenaient essentiellement des gens des ventes qui relayaient ces informations aux dirigeants. Peu d’entreprises étaient outillées pour faire des analyses marketing plus approfondies.
« Et même si on se préoccupait des besoins clients, souvent les projets retenus étaient fondés sur une intuition entrepreneuriale avec un désir de passer à l’action le plus rapidement possible. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de bons arguments pour appuyer le projet, mais c’était plutôt dans une perspective court terme. »
Cette situation est encore assez répandue. Cependant, il y a de plus en plus d’entreprises qui adoptent une perspective plus stratégique avant de concevoir et de lancer de nouveaux produits et cherchent les moyens éprouvés pour ce faire.
Aujourd’hui, la mondialisation des échanges commerciaux a accru le terrain de jeu de nos entreprises et par le fait même, la concurrence. Cibler et pénétrer des marchés avec les bons produits est devenue une opération complexe pour la majorité d’entre elles, tous secteurs confondus, surtout lorsqu’elles s’adressent à des marchés extérieurs.
Dans ce nouveau contexte, comprendre les besoins clients est primordial mais ardu, particulièrement au Québec où 50 % de la production des biens et services sont destinés à l’exportation. Profiter d’opportunités à l’étranger pour présenter nos produits est une chose, bien comprendre et répondre aux besoins clients en est une autre, sans oublier l’importance de s’ajuster aux normes et cultures différentes.
Sélectionner les bons projets : un choix toujours aussi difficile
De l’avis du cofondateur de l’IDP, la gestion du portefeuille de projets de développement de produits/services demeure également un maillon faible dans les pratiques. « On voit fréquemment des listes de projets de 5 à 10 fois plus grande que les capacités de l’entreprise à les réaliser. Ce manque d’adéquation entre nos désirs et la disponibilité des ressources est un réel problème. Sans vouloir étouffer cet enthousiasme, il faut apprendre à devenir plus stratégique dans ces choix. »
Sur fond de pénurie de main-d’œuvre, de manque permanent de ressources et de roulement de personnel, ce problème est encore plus criant. De plus, les projets de développement de produits sont constamment en concurrence avec d’autres priorités de l’entreprise. Pour les gens de R-D, l’urgence du quotidien les rattrape : les imprévus, les difficultés en fabrication, le soutien aux ventes, les défis de nature technologique, etc.
« Les gens sont très sollicités pour régler des problèmes; ils ont de moins en moins de temps pour travailler sur des projets à moyen et à long terme. Le quotidien mange le futur. »
En outre, les équipes de développement de produits doivent faire face à un rythme de travail qui s’accroit d’année en année. « Au début de nos formations, un des enjeux étaient de réduire le temps de développement, le time-to-market. C’est encore le cas maintenant mais à vitesse grand V. Les temps de projet ont encore plus rétréci! »
Développer un langage commun : la difficulté de communiquer clairement
Un autre grand changement survenu au cours des 25 dernières années, c’est sans aucun doute la performance des nouveaux moyens de communication. Guy Belletête se rappelle le temps où la promotion des activités de l’IDP se faisait par télécopieur. « Mais en dépit de ces avancées, je ne crois pas que nous soyons plus performants à communiquer », déplore-t-il. « On est obnubilé par ces nouveaux moyens mais on semble peu préoccupé de bien communiquer. J’ai l’impression que la communication entre les individus s’est appauvrie malgré l’enrichissement des moyens. »
Selon lui, le problème de la communication se pose également entre les membres de la direction et les responsables des projets de développement dans les entreprises. « L’absence de compréhension claire et de langage commun frappe là aussi; c’est un énorme talon d’Achille », affirme-t-il.
« Définir un produit et son projet demande beaucoup d’interactions entre les intervenants. Et on imagine bien que les préoccupations des personnes responsables de la R-D, des ventes, du marketing ou de la production ne sont pas les mêmes. S’entendre sur la définition du produit et s’assurer régulièrement de travailler sur la même page, comme on dit, ça se fait difficilement en s’envoyant des courriels. »
« Le développement de produits, ce n’est pas de la matière dure; c’est de l’information livrée par des individus. Si tu me livres de l’information que je ne comprends pas ou que je n’interprète pas de la bonne façon, je ne peux pas t’aider. Il faut rendre cette information visible, compréhensible de part et d’autre en tenant compte de tous les aspects du projet de développement. »
Selon Guy Belletête, la responsabilité de bien communiquer les enjeux commerciaux, technologiques et opérationnels incombe également aux gens responsables du développement de produits. « Je crois que les directions d’entreprise s’attendent à ce que ceux-ci prennent l’initiative, tant dans le choix des méthodes de gestion du développement de produits que dans la réalisation. Il ne s’agit pas uniquement de concevoir de bons produits mais de participer à l’atteinte des ventes. Et dans ce sens-là, il est crucial que le gestionnaire de projet s’engage à bien le mener jusqu’au bout. »
En conclusion
Deux enjeux récurrents à la gestion de l’innovation et du développement de produits pour les entreprises émergent : un niveau élevé de complexité et des défis constants et intrinsèques liés aux facteurs humains.
Au fil de la discussion, nous avons constaté comment le modèle des meilleures pratiques en développement de produits, élaboré par l’IDP à la suite de l’analyse des problématiques rencontrées par les entreprises, conserve toute sa pertinence encore aujourd’hui (voir la figure).
Si les problèmes d’hier sont toujours présents, les gestionnaires et responsables ont su développer de nouvelles habilités pour s’adapter aux exigences actuelles. « Il faut poursuivre ce travail et ne jamais cesser de vouloir s’améliorer dans nos pratiques de développement de produits et d’innovation », lance Guy Belletête. Et heureusement, selon son expression consacrée, « l’innovation, ça s’organise! »
Voici les formations de l’IDP qui ont fait leurs preuves et ont vu défiler des centaines de gestionnaires et responsables du développement de produits :
« Être chef de produits », « Devenez plus efficace en développement de produits » et « La gestion agile de votre projet d’innovation ».
Vous pouvez vous inscrire à ces programmes en tout temps.
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