par Philippine Loth, chargée de projets à l’IDP
Les enjeux de notre système alimentaire sont nombreux et interreliés : santé, qualité de vie, économie, environnement et plus encore. Cette complexité appelle une approche systémique et durable de l’agroalimentation. En attendant la concertation de tous les acteurs pour des pratiques durables dans ce vaste écosystème, quelques initiatives tracent la voie. Aperçu.
Les expressions « de la fourche à la fourchette » et « du champ à l’assiette » illustrent bien l’envergure de l’écosystème que constitue l’agroalimentaire. Et oui, la production alimentaire est un long processus qui comporte plusieurs étapes et fait intervenir un grand nombre de facteurs: la production, la transformation, la distribution, l’entreposage, la consommation et la gestion des déchets.
Des systèmes alimentaires durables
Récemment, on a vu apparaitre au Québec la notion de système alimentaire durable (SAD) qui intègre le concept de cycle de vie en référence au chemin qu’empruntent les aliments, de leur production à leur fin de vie utile. On dit d’un système alimentaire qu’il est durable quand il a lieu sur un territoire donné et qu’il permet d’accroitre la santé environnementale, économique et sociale de la collectivité. Cette approche systémique s’intéresse aux interactions et synergies possibles entre les différents maillons du système alimentaire dans une perspective de sécurité alimentaire et de santé des populations.
Pour chacun des maillons de la chaine, il est possible d’identifier des leviers ou actions qui amènent des changements durables dans les pratiques actuelles. Nous vous présentons dans cet article deux exemples d’initiatives québécoises, l’une à l’étape de la production, l’autre de la transformation. La première, la Ferme des Quatre-Temps nous montre comment l’agriculture bio-intensive permet de produire des aliments dans le respect de l’environnement. La seconde initiative est un projet de recherche qui réinvente le processus de stérilisation de la mise en conserve.
Figure : Schéma du système alimentaire | Source >
Enjeu de production : les activités agricoles à la ferme
Selon une étude de la Commission européenne, la majorité des impacts environnementaux dans le domaine de l’agroalimentation se situent en phase de production, plus précisément à la ferme. Quand on sait que l’agriculture intensive émet à elle seule 40 % du CO2 mondial selon l’IFEN, il est facile de comprendre pourquoi la production est l’étape du cycle de vie des aliments qui comporte le plus grand nombre d’enjeux.
Au Québec, les activités agricoles affectent l’environnement surtout en raison de l’utilisation de matières fertilisantes et de pesticides qui peuvent contaminer les cours d’eau et nuisent à la biodiversité. Et c’est aussi à cause de la gestion des sols agricoles et de l’élevage qui émettent des émissions de GES dans l’atmosphère. Néanmoins, des solutions sont possibles et l’une d’elles est l’agriculture biologique.
La Ferme des Quatre-Temps : la ferme de demain
Située à Hemmingford, la Ferme des Quatre-Temps est une institution qui produit de façon raisonnée. « Inspirée par des principes de l’agroécologie et d’une approche entrepreneuriale de l’agriculture », cette ferme montre la voie vers un modèle agroalimentaire plus écologique et nourricier pour l’ensemble du Québec. Pour y arriver, les fermiers cultivent de manière bio-intensive les terres et instaurent des pâturages rotationnels pour leurs bêtes. Ces méthodes permettent d’obtenir un haut rendement sur de petites surfaces sans épuiser les sols et sans utiliser de pesticides de synthèse.
Pour accroitre la productivité de la ferme, sans pour autant augmenter les impacts environnementaux, ils mettent en place de bonnes pratiques : réduire au minimum les pertes d’énergie, d’eau, de nutriments et de ressources génétiques tout en optimisant les cycles de matière organique. En parallèle, un travail est effectué pour augmenter la résilience de la ferme en utilisant les semences comme un bien commun, en mettant de l’avant des connaissances ancestrales.
Il n’en demeure pas moins que la Ferme des Quatre-Temps est une entreprise qui se veut rentable. Le financeur et initiateur du projet, André Desmarais, poursuit l’objectif de démontrer que les produits biologiques peuvent être totalement concurrentiels avec ceux de l’agriculture traditionnelle et meilleurs au plan nutritif (car locaux et cueillis à maturité), et ce, à prix accessibles.
Ce type d’exploitation est une vitrine pour les agriculteurs qui souhaitent à leur tour monter une telle entreprise. Derrière leur mission de terre nourricière, se cache aussi une volonté de partage de connaissances. La Ferme des Quatre-Temps propose des visites du site et Jean-Martin Fortier, le porteur du projet et auteur du livre à succès « Le jardinier-maraicher », dispense des cours en ligne pour promouvoir la production maraichère bio-intensive à travers le monde.
Enjeu de transformation : conservation à faible impact
Sur le cycle de vie d’un produit alimentaire, les étapes de transformation, de stérilisation (par la chaleur) et de conservation (réfrigération ou congélation) peuvent avoir un fort impact environnemental sur la vie du produit. À titre d’exemple, Coca-Cola a fait la première étude environnementale du cycle de vie de sa boisson mythique en 1969. Il en est ressorti que la phase d’usage, avec conservation de la bouteille dans un appareil réfrigérant, constituait le deuxième impact le plus élevé, quelle que soit la matière du contenant (aluminium ou plastique).
Comme le faisaient nos grands-parents, la mise en conserve permet toutefois de préserver nos aliments longtemps sans nécessiter une source de froid. L’industrialisation de cette méthode est très connue et a donné lieu à la boite de conserve. Le seul hic : l’étape de stérilisation de cette méthode est énergivore. En effet, les autoclaves essentiels au processus de stérilisation nécessitent une grande quantité d’énergie pour chauffer le cœur de la conserve à 120 degrés C et rendre les aliments qui s’y trouvent sûrs et sains.
Un procédé de stérilisation moins énergivore
Pour réduire les émissions de GES dues au procédé de stérilisation, Mohammed Aider, professeur en génie alimentaire de l’Université Laval, travaille depuis quelques années à la mise au point d’un nouveau procédé de stérilisation intégrant l’électro-activation.
Ce procédé permet de faire passer un courant électrique dans une solution où baignent les aliments pour tuer les bactéries dangereuses avec beaucoup moins d’énergie que ne requiert un processus de stérilisation standard. Sachant que l’on peut obtenir des aliments qui ont une stérilité semblable à la stérilité industrielle en utilisant l’électro-activation, ce processus devient encore plus intéressant parce qu’il permettrait une économie d’énergie globale de l’ordre de 17 %.
Avant l’étape de mise en conserve dans le processus de stérilisation standard, les aliments doivent être blanchis pour éliminer et inactiver les enzymes pouvant altérer leur apparence. Avec l’approche de M. Aider, il est possible de faire le blanchiment directement dans des solutions électro-actives chauffées à 95 degrés C, ce qui élimine l’étape de stérilisation en autoclave utilisée jusqu’à maintenant.
Pour le chercheur, l’implication de l’industrie constitue la prochaine étape afin de réaliser une mise à l’échelle du processus. La première PME qui se lancera dans l’aventure aura beaucoup à gagner au vu du contexte actuel où tous essayent de réduire les dépenses énergétiques liées indirectement aux émissions de GES. Bref, une dépense épargnée restera un gain.
Les systèmes alimentaires durables : un défi de concertation
Les systèmes alimentaires durables sont des chaines d’acteurs positionnées sur tout le cycle de vie des aliments. Les maillons de la chaine peuvent agir à leur niveau en prenant connaissance des différents enjeux environnementaux et sociaux propres à leur domaine pour trouver des solutions. Prendre conscience que vous êtes l’un des acteurs de cette chaine est déjà bien.
Petit à petit pour changer les modes de production, de transformation, de distribution, de consommation et de gestion de fin de vie des aliments, il va être impératif de communiquer et de collaborer avec les autres maillons de la chaine. « Car, compte tenu des différentes échelles d’intervention et des nombreux secteurs d’activités concernés, aucun acteur ne dispose à lui seul de toutes les clés pour opérer une transition vers des systèmes alimentaires durables. La mise à contribution et la concertation des acteurs sont donc cruciales afin de mettre en place une compréhension commune du système et de concilier les intérêts des parties prenantes.*»
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* Référence : http://collectivitesviables.org/articles/systeme-alimentaire-durable.aspx#body-section
Pour plus d’informations :
Sur les SAD, consultez :
– Collectivités viables
– Le système alimentaire de Québec
Sur l’électro-activation, consultez >
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