par Stéphanie Gagnon, M. Sc. en Gestion de l’innovation, Jetpack Innovation
Malgré son agilité, la startup reste une entreprise fragile, soumise à un risque d’échec très élevé tout au long de son développement. Or, de par sa nature même et les pressions exercées sur elle, la startup souhaitera monétiser sa solution le plus rapidement possible. Et c’est là que la course à l’expansion peut produire des dérapages. L’auteure* nous livre ici une méthode et un outil en mesure d’aider les startups et les PME à mieux gérer cette croissance qui peut être chaotique.
Pourquoi certaines startups échouent tandis que d’autres réussissent à tirer leur épingle du jeu? Selon certaines études, une expansion prématurée serait la cause principale de l’échec des startups dans plus de 70 % des cas! En effet, il a été démontré que les différentes dimensions sur lesquelles l’entreprise doit se pencher pour faire avancer son projet devraient se retrouver toutes au même niveau de maturité avant de franchir une nouvelle phase. Quelles sont ces dimensions? Comment un tableau de bord de maturité peut-il devenir un facilitateur en ce sens? En voici un aperçu et l’application qu’il est possible d’en faire dans un contexte de startups et de PME en pleine croissance.
Les phases de croissance des startups
Pour devenir plus efficace et gagner en maturité, la startup doit passer par différentes phases caractérisées par une série d’activités clés à réaliser. Comme l’illustre la figure 1, le cycle de vie des startups comporte quatre phases dont voici une brève description des trois premières, juste avant l’expansion proprement dite (scale).
1) Découverte
Essentiellement à cette phase, l’organisation cherche à identifier le problème réel pour lequel le marché serait prêt à payer pour une solution. Du coup, elle doit définir la clientèle visée. L’équipe de fondateurs met en place un comité consultatif ou bien bénéficiera du soutien d’un mentor. De plus, dans la majorité des cas, l’organisation joint un incubateur.
2) Validation
Cette phase requiert de tester rapidement la solution auprès de la clientèle cible afin de valider l’existence d’un marché. Des indicateurs clés de performance sont fixés pour évaluer les résultats obtenus lors des différentes expérimentations et itérations devant servir à affiner la proposition. L’itération peut aussi entraîner un changement de stratégie d’entreprise, appelé « pivot », impliquant par exemple de s’adresser à un segment de marché différent, d’adopter une autre technologie, etc. Enfin, le recrutement de premiers postes clés peut s’avérer nécessaire.
3) Efficacité
À ce stade, en fonction de la réponse du marché, la startup travaille à mettre en place un modèle d’affaires répétable qui lui permettra de prendre de l’expansion. De plus, il y a mise en place d’un système efficace d’acquisition de nouveaux clients, d’une maximisation du taux de conversion et de rétention de la clientèle, et une révision de l’expérience client. C’est aussi le moment d’élaborer les premières procédures en ce qui a trait aux finances, ventes, recrutement de personnel, etc. Il est important à cette phase d’avoir de bonnes procédures pour continuer à bien répondre aux besoins des clients, malgré l’augmentation de la demande.
À chacune de ces phases, la startup doit réaliser des activités spécifiques sur plusieurs dimensions clés telles que le client, le produit, l’équipe, le modèle d’affaires et les finances. Autant que possible, l’entreprise devrait chercher à faire avancer chacune de ces dimensions en fonction des résultats visés, avant de passer à la phase suivante. La figure 2 illustre ces dimensions clés. Et comme il est fréquent que les startups travaillent dans un contexte d’innovation ouverte, il nous est apparu pertinent de rajouter le réseau de contacts et la veille ainsi que la propriété intellectuelle aux dimensions clés mentionnées précédemment.
Le grand danger : l’expansion prématurée
Les activités des trois premières phases du cycle de vie de la startup sont déterminantes pour leur croissance. Cependant, dans un contexte de précarité et d’urgence, il n’est pas rare de voir la startup sauter d’une phase à l’autre pour arriver le plus rapidement possible au stade de l’expansion. Il faut dire que dans l’univers startup, les investisseurs, la compétitivité, la mondialisation, la rapidité du développement technologique, tous ces facteurs contribuent à exercer une pression énorme sur les jeunes pousses pour monétiser leurs solutions innovantes le plus tôt possible.
Or, selon Startup Genome, l’expansion prématurée serait la cause principale de l’échec chez la startup. Dans ce rapport, les auteurs expliquent ce phénomène du fait que les dimensions clés sur lesquelles la startup travaille sont à des degrés de maturité « incohérents », par rapport à la phase où elle se situe réellement.
Prenons l’exemple suivant. Supposons une startup dont le produit se trouve toujours en phase de « validation »; le plan marketing est déjà mis en œuvre comme il est suggéré de le faire en phase « efficacité »; la composition de l’équipe n’a pas évolué depuis le début de la phase « découverte ». On dira alors de cette startup qu’elle est « incohérente » et qu’il n’est pas recommandé de passer à la phase expansion.
Souvent les startups elles-mêmes ne savent pas très bien à quelle phase elles se situent en fonction des résultats obtenus sur les différentes dimensions. C’est ce qui les amènera très souvent à faire inconsciemment le saut d’une phase à l’autre, et à entamer une expansion de façon prématurée. L’étude post mortem de Startup Genome démontre qu’il s’agit d’un défi que 74 % des startups ayant échoué, ont rencontré.
Un tableau de bord pour mesurer la progression
L’une des solutions pour accélérer la progression cohérente des startups sur les dimensions clés réside dans la création d’un tableau de bord qui faciliterait le suivi de leur évolution à travers les différentes phases. L’objectif : établir le degré de maturité des dimensions clés, à chacune des phases. Cela leur permettrait non seulement de progresser de façon cohérente mais aussi d’ériger des bases solides pour la gestion de l’innovation au fur et à mesure de leur croissance.
Le fonctionnement de cet outil est simple. Les phases du cycle de vie constituent l’axe horizontal de la matrice alors que les dimensions clés sont celles de l’axe vertical. Au cœur de cette matrice, on retrouve les différentes activités de développement. Ainsi, l’usager de l’outil peut voir en un seul coup d’œil le pourcentage d’atteinte des résultats espérés pour chacune des dimensions (cf. fig. 3).
Il en revient à l’organisation de modeler les activités pertinentes aux différentes dimensions clés et de pondérer le poids des extrants en termes d’effort de travail. Aussi longtemps que toutes les dimensions clés ne sont pas à maturité, soit à 100 % pour une phase donnée, la startup ne devrait pas passer à la phase suivante.
À partir des données d’un tel tableau de bord, il est possible de générer une représentation graphique qui permet de visualiser facilement le degré de maturité atteint, en fonction des dimensions clés et pour chacune des phases. La figure 4 illustre le tableau de bord d’une startup montréalaise qui développe une solution SAP, à un moment donné de sa croissance.
Dans cet exemple, l’entreprise est clairement en phase de validation. On la considère « incohérente » en raison de la dimension client qui n’a pas encore atteint sa pleine maturité à cette phase, alors que des activités sont en cours dans la phase subséquente. On peut cependant affirmer qu’elle tend à être plutôt cohérente en général.
En conclusion
Le principe de l’évolution cohérente des dimensions clés à chacune des phases de croissance s’applique tout aussi bien aux PME. Par conséquent, ce tableau de bord peut leur être fort utile. Il s’agira tout simplement d’adapter les phases du cycle de vie et les dimensions clés à leur réalité.
Il peut également être d’intérêt dans les projets de développement. Après tout, chaque nouveau projet de développement n’est-il pas une nouvelle cellule en croissance apportant sa valeur propre au modèle d’affaires de l’entreprise? Dans un contexte d’innovation ouverte par exemple, cet outil pourrait permettre de réaliser un diagnostic du degré de maturité du projet, un suivi des activités et un arrimage des visions des parties prenantes.
Qu’ont en commun les startups et les PME? Elles veulent avoir un impact positif. Solutionner. Bâtir. Créer de la richesse RAPIDEMENT et avec succès. Ce tableau de bord est un outil évolutif et adaptable à chaque organisation. Il permet à la fois d’évaluer le degré de maturité des dimensions de l’entreprise, de jouer un rôle de facilitateur pour l’intégration des pratiques d’innovation et d’être un soutien à la communication entre les parties prenantes lors de rencontres stratégiques.
Est-il réaliste de penser que, dans le feu de l’action, l’organisation va réussir à être cohérente dans la progression de toutes ces dimensions? Pas nécessairement, mais du moins en évitant les écarts démesurés, elle mettra toutes les chances de son côté en prenant des décisions éclairées.
Pour en savoir plus
« L’innovation en support à l’expansion startup », Stéphanie Gagnon, ÉTS, 2018
* Designer industriel de formation, Stéphanie Gagnon a travaillé plus de 15 ans dans le domaine du développement de nouveaux produits au sein de PME. Ces dernières années, elle s’est plus particulièrement intéressée à l’expansion des startups et à leur manière d’innover. Elle est la fondatrice de Jetpack Innovation, une firme de services-conseils basée à Boston, qui accompagne les entreprises souhaitant accélérer leur croissance, innover comme une startup, et dire non au statu quo!
Comments are closed.