Par Louise Saint-Pierre, MBA, Communications, IDP
Au cœur des stratégies d’affaires, l’innovation et le développement de produits sont stratégiques parce qu’ils contribuent à créer de la valeur, à la croissance de l’entreprise. Comment organiser ce processus pour qu’il réponde aux objectifs corporatifs? L’exemple de Ver-Mac, PME de Québec, est intéressant. Entrevue réalisée avec son v.-p. Produits et R-D, Serge Beaudry.
Signalisation Ver-Mac fabrique des équipements mobiles de signalisation, de sécurité et d’éclairage pour les chantiers routiers : panneaux à message variable, flèches de signalisation, capteurs de vitesse, tours d’éclairage, etc. Plus de 300 employés travaillent dans ses usines de Québec et de Houston aux États-Unis. Principalement vendus au Canada et aux États-Unis, les produits Ver-Mac sont également distribués à l’international.
Dans l’entreprise depuis 10 ans, Serge Beaudry, v.-p. Produits et R-D, s’est attelé à la tâche de structurer l’innovation au sein de Ver-Mac. Nous présentons ici les différents processus et pratiques mis en place pour rencontrer les objectifs stratégiques de l’entreprise en cette matière.
Un marché règlementé et conservateur
D’abord un coup d’œil sur ce marché. Parce qu’il s’agit d’enjeux de sécurité, le domaine de la signalisation sur les chantiers routiers est très règlementé. Au Québec, c’est le ministère des Transports qui définit les équipements qui peuvent être installés au bord des routes, et même comment l’information doit être véhiculée aux usagers de la route.
Cette règlementation diffère beaucoup d’un endroit à l’autre, d’un pays à l’autre. Par exemple, le panneau à message variable vendu au Québec est différent de ceux vendus aux États-Unis où on y retrouve pas moins de 26 normes fédérales différentes.
« Il faut être très patient. Ça prend plusieurs années avant de connaitre un succès, d’établir un nouveau standard dans cette industrie-là. Par exemple, il aura fallu 10 ans pour que l’ajout d’un système GPS aux panneaux à message variable devienne un standard dans le produit de base. »
L’innovation, facteur de croissance depuis 30 ans
L’arrivée en poste de la troisième génération de propriétaires, au tournant des années 1990, marque un important virage technologique chez Ver-Mac. C’est à partir de là que les dirigeants ont inscrit l’innovation comme vecteur de croissance. Chef de file dans l’industrie de la sécurité routière, Ver-Mac a d’ailleurs été une des premières entreprises à mettre en marché le panneau à message variable, produit le plus connu et qui représente environ 70 % de leurs ventes.
En 30 ans, la façon de faire les affaires a beaucoup évolué. Pour répondre aux exigences particulières de ses clients, l’approche « custom » a longtemps prévalu. Mais quand l’entreprise a voulu élargir ses marchés géographiques, une certaine standardisation des solutions développées s’est imposée. Aujourd’hui, l’innovation par le développement de nouveaux produits est plus que jamais stratégique pour Ver-Mac.
De la stratégie au développement de produits
Chez Ver-Mac, pas de stratégie d’innovation formelle mais un plan directeur dans lequel sont définis les objectifs et actions spécifiques. Deux volets : l’innovation interne (optimisation des processus internes, réduction de coûts, etc.) et le développement de produits par gamme de produits (amélioration et nouveaux produits en % des ventes). Ce plan directeur découle directement du plan stratégique quinquennal, élaboré et révisé chaque année.
Même si cette approche n’est pas formalisée dans une stratégie d’innovation proprement dite, ce plan directeur comporte les éléments clés associés à un positionnement de produits pouvant découler de la gestion du portefeuille de produits ou d’un exercice de cartographie de produits (roadmapping), par exemple.
Pour opérationnaliser la stratégie d’innovation formulée dans le plan directeur, un processus formel de gestion du portefeuille de projets d’innovation a été instauré et permet de prioriser les projets les plus prometteurs en regard des objectifs stratégiques. Une telle pratique permet de focaliser les ressources sur les projets les plus porteurs, tout en maintenant un équilibre entre la nature et l’envergure des projets, leur degré d’innovation et les marchés visés, et de conserver l’agilité pour saisir des opportunités.
Une rencontre mensuelle avec les propriétaires et les responsables de quelques fonctions clés a pour but de revoir la priorité des projets en fonction de différents indicateurs. Ce qui permet d’éviter les situations où tout est prioritaire. Mais selon le v.-p. Produits et R-D, la priorisation des projets est encore difficile, même avec des indicateurs. « On a encore trop de projets pour les ressources que nous avons et la direction voudrait plus de nouveautés que ce qu’on est capable de faire. »
Parallèlement, plusieurs sessions de revue du portefeuille de produits existants ont lieu chaque année avec les membres de la direction. Cet exercice a pour but d’analyser sous toutes leurs coutures chaque gamme de produits en termes de cycle de vie, de positionnement et de performance commerciale dans leur marché respectif. Cette pratique permet d’identifier les opportunités d’innovation et d’ajuster les stratégies de mise en marché de ces produits.
Par ailleurs, un processus de développement de produits (PDP), dont l’implantation a débuté en 2015, est actuellement déployé dans la majorité des départements de l’entreprise. Dr l’avis de Serge Beaudry, il s’agit de la pratique qui a eu le plus grand impact dans l’organisation et a généré le plus de bénéfices. Alors qu’il y a 15 ans l’innovation était perçue comme du ressort strict de la R-D, c’est aujourd’hui l’ensemble des différents départements qui est impliqué.
« Cela a été long, cinq à six ans pour tout mettre en place; mais maintenant, c’est ancré. Il faut être patient. Quelqu’un qui croit que l’implantation peut se faire en 12 mois, et que ça va régler tous les problèmes, fait fausse route. »
En conclusion
Les besoins des entreprises sont toujours les mêmes : créer de la valeur et assurer la croissance. En lien avec la stratégie globale de l’entreprise, la stratégie d’innovation oriente les décisions sur la façon dont les ressources doivent être utilisées pour répondre aux objectifs en termes d’innovation et ainsi offrir de la valeur et un avantage concurrentiel.
Cela nécessite d’abord un engagement fort de la direction et une volonté de le communiquer à tous les niveaux de l’entreprise. Même si l’existence d’une culture d’innovation est un bon départ, elle ne suffit pas. La stratégie d’innovation découlant de la planification stratégique permet d’aligner les efforts et le rôle du développement de produits dans l’atteinte des objectifs corporatifs, de préciser les couples produits/marchés, les résultats financiers à atteindre et les compétences clés nécessaires dans l’entreprise.
Pour alimenter cette réflexion stratégique, l’idéal serait d’articuler ensemble les informations communes découlant d’un exercice de cartographie de produits, de la gestion du portefeuille de produits et celle du portefeuille de projets. Ces pratiques sont interreliées bien qu’ayant des objectifs distincts.
Même si le nombre et le niveau de formalisation des outils et pratiques mis de l’avant sont plus limités, Ver-Mac nous démontre qu’il est possible d’avoir une bonne cohérence relativement aux éléments qui supportent la stratégie de produits, et indirectement la stratégie d’innovation.
Et comme le dit si bien Serge Beaudry : « Il faut être patient. Mais chose certaine, je ne retournerais pas en arrière. Et si on n’innovait pas, on ne serait tout simplement pas là! »
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