Par Claude Emond, M. ing., MBA, PMP
L’environnement socio-économique a bien changé au cours des dernières décennies transformant considérablement nos contextes d’affaires. Ces changements rapides entraînent plus que jamais le recours à des méthodes agiles, particulièrement dans la gestion de projets d’innovation. Claude Émond, expert en la matière, nous explique comment pratiquer l’agilité dans un contexte de gestion de plusieurs projets en même temps.
Le 3 février dernier, Mario Girard, chroniqueur à La Presse + tenait ces propos dans son article intitulé « Nouvelle normalité »: « … Si vous voulez avoir un certain effet en entrevue, il faut parler de « nouvelle normalité ». Cette expression est sur toutes les lèvres des observateurs, des sociologues, des philosophes, des experts en marketing ou en affaires, des spécialistes du monde du travail, etc. »
Innovation permanente et agilité
Cette nouvelle normalité n’a toutefois pas attendu une crise comme la COVID-19 pour se manifester. Depuis au moins le début des années 1980, nous vivons dans un monde en mutation permanente, un monde caractérisé pas des changements nombreux et rapides. Ce sont ces mêmes environnements qui ont forcé nos entreprises à innover davantage, à développer toujours plus de nouveaux produits, à adapter leurs processus de gestion et à transformer leur culture organisationnelle.
Ces environnements qualifiés de volatiles, incertains, complexes et ambigüs (VICA) ont entrainé l’émergence et l’adoption de méthodes dites « agiles » au tournant des années 2000. Pour gérer ce besoin d’innover en permanence, l’agilité est devenue la condition sine qua non de la réussite et de la pérennité des entreprises dans le but de les rendre :
- plus concurrentielles (faire vite) face à plus de volatilité (V)
- mieux en contrôle (faire bien) face à plus d’incertitude (I)
- plus créatives (faire en premier) face à plus de complexité (C)
- plus collaboratives (faire ensemble) face à plus d’ambiguïté (A)
C’est d’ailleurs pour ces raisons que l’IDP a développé et offre depuis près de 10 ans une formation en gestion agile des projets d’innovation afin d’aider les entreprises, leurs employés et autres parties prenantes dans ce virage obligé vers plus d’agilité.
La « wagilité »
De trop nombreux écrits dits « agiles » opposent malheureusement le développement en mode agile au développement séquentiel en cascade (méthodologie Waterfall pour le développement logiciel ou méthodologie Stage-Gate pour les projets d’innovation de toutes sortes). Or, ce séquencement est essentiel pour une majorité de projets de développement de produits et il peut très bien intégrer des pratiques de type SCRUM pour en augmenter l’agilité.
À cet effet une méthodologie hybride, intégrant une méthode agile de type SCRUM à l’intérieur même du processus Stage-Gate, a été développée et incluse dans nos formations pour la gestion d’un seul projet à la fois. Nos cousins français ont baptisé cette approche la « wagilité », résultat de la contraction du « w » de waterfall au mot agile. Pour en savoir plus sur cette approche hybride, vous pouvez visionner un webinaire que j’ai réalisé récemment.
Agilité et multiprojets
Autre hic, ces méthodologies agiles de type SCRUM, utilisées dans plus de 70 % des projets selon la littérature sur le sujet, ne sont pas très bien adaptées à la gestion multiprojets jusqu’à ce jour.
Pour de très nombreux « agilistes », ces méthodes plus agiles ne peuvent fonctionner que dans un contexte où les membres de l’équipe de projet ne travaillent à temps plein que sur un seul projet à la fois. Alors comment appliquer les principes de ces méthodes de type agile lorsque l’environnement pousse les équipes de projet à œuvrer sur:
- plusieurs projets d’innovation en simultané?
- des projets impliquant des équipes travaillant sur plusieurs projets à la fois?
- des projets impliquant des experts « volants » qui vont d’un projet à l’autre selon leur disponibilité personnelle et la priorité de ces projets?
- des projets à la priorité changeante en raison d’un environnement d’affaires variable et dont la nature, la pertinence et la séquence de développement sont remises en question?
Or, la majorité de nos entreprises innovent en réalisant plusieurs projets de développement de nouveaux produits en même temps. En fait, elles sont constamment en mode multiprojets! Leurs projets évoluent dans le temps en fonction des marchés visés, de leur pertinence, de leur temps de développement, de leur priorité et de la disponibilité des ressources requises.
Il me semble évident que si la méthodologie SCRUM, telle que définie originalement, ne fonctionne pas en mode multiprojets, c’est en raison du refus, voire de l’incapacité des personnes concernées à la modifier pour l’adapter à ce contexte devenu la nouvelle normalité pour la majorité des équipes de projet. Que faire alors?
Pistes de solution à explorer
Cette nécessité d’adapter les approches dites agiles au mode multiprojets, comme la méthodologie SCRUM, revient constamment lors des échanges avec les participants aux ateliers de gestion agile de projets d’innovation. À ce sujet, les questions et pistes de solution les plus fréquemment abordées ont trait aux aspects suivants :
- La nécessité d’avoir des sprints à durée variable en fonction de l’évolution d’un projet
- Piste de solution – La durée d’un sprint est fonction du niveau d’incertitude et de la complexité de la situation. Elle est généralement plus courte en début de projet à cause de la haute incertitude; également en fin de projet en raison du haut degré de complexité associé au nombre important d’intervenants impliqués lors du transfert d’un nouveau produit pour sa mise en production.
- L’enjeu des sprints de durées différentes dans les projets individuels réalisés en simultané par une même équipe, compte tenu de la nécessité de faire le point périodiquement sur l’ensemble des projets pour revoir les priorités et le degré d’avancement
- Piste de solution – En plus des sprints sur les projets individuels, mettre en place un « sprint global » et une rétrospective/revue multiprojets mensuellement sur l’ensemble des projets de l’équipe pour
- revoir globalement :
- tous les travaux en cours des sprints individuels encore actifs
- les changements de priorité
- les projets qu’on voudrait ajouter au portefeuille ou mettre en veilleuse/abandonner en cours de réalisation, etc.
- statuer sur la vélocité globale et la dynamique de l’équipe de projet
- définir les besoins de ressources pour le prochain mois.
- revoir globalement :
- Piste de solution – En plus des sprints sur les projets individuels, mettre en place un « sprint global » et une rétrospective/revue multiprojets mensuellement sur l’ensemble des projets de l’équipe pour
- Les changements de priorité obligés mais imprévus nécessitant le transfert d’un expert « volant » d’un projet à un autre, le transfert des efforts de l’équipe vers un autre projet ou des changements immédiats dans les livrables à réaliser en cours de sprint
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- Piste de solution – Mettre en place la règle générale suivante qui devra être appliquée 80-90 % du temps pour tous les sprints :
« Lorsqu’on débute un sprint dans un des projets individuels, on n’en changera
▪ ni la durée,
▪ ni le contenu des livrables,
▪ ni les ressources affectées à ce sprint;
- Piste de solution – Mettre en place la règle générale suivante qui devra être appliquée 80-90 % du temps pour tous les sprints :
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et on le réalisera et terminera comme planifié. »
Cependant (et cela doit être l’exception), si un changement de priorité ou un imprévu nécessitent d’en changer la durée, son contenu et les ressources affectées, ou si on doit tout simplement l’arrêter pour le bénéfice d’un autre projet du portefeuille, quitte à reprogrammer l’achèvement des travaux en cours à plus tard, eh bien on le fait!
En conclusion
La nouvelle normalité en innovation, c’est l’innovation en continu. Et cette nouvelle normalité ne pourra se matérialiser qu’en étant constamment plus agile. Pour cela, le paradigme du « un projet la fois » et « aucun travail en mode multiprojets » devra être purgé de nos croyances managériales. La nouvelle normalité en innovation passe définitivement par l’agilité en mode multiprojets.
Mentionnons qu’un nouveau programme de l’IDP sur « La gestion agile de votre projet d’innovation » débutera le 24 février prochain. En savoir plus
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Claude Émond, ing., maîtrise en ingénierie et MBA, est associé principal, coach et formateur en agilité organisationnelle chez QualiScope inc. Claude a plus de 35 ans d’expérience dans la gestion de projets majeurs et enseigne la gestion agile au Canada et en Europe pour des programmes de certification avancée en gestion de projet. Il a développé les ateliers de gestion de projet agile offerts par l’IDP, avec qui il collabore en tant que formateur depuis plus de 15 ans.
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