Par Benoit Poulin ing., directeur général de l’IDP
Le 24 avril dernier, le Conseil de l’innovation dévoilait le contenu de son rapport « Vers un Québec innovant » ayant pour but de repenser le modèle québécois d’appui à la recherche et développement (R-D) des entreprises. En tout, 13 recommandations y sont formulées autour de trois axes d’intervention : inciter les entreprises à investir davantage en R-D, accélérer la mise en marché des innovations et protéger les investissements réalisés par l’État et les entreprises d’ici. Regard éclairé du directeur général de l’IDP sur ces recommandations.
D’emblée, nous vous recommandons la lecture de ce rapport (https://conseilinnovation.quebec/rapport-vers-un-quebec-innovant/ ) qui nous permet de mieux comprendre l’organisation et la répartition des types d’aide que déploie annuellement le gouvernement du Québec auprès des entreprises, totalisant pas moins de 10 000 mesures financières directes et indirectes. Autre fait intéressant, les constats sur les investissements et le financement de la R-D au Québec sont mis en rapport avec ceux des pays de l’OCDE, du G7 et de de l’Union européenne.
Nous voulons souligner la qualité du travail des gens qui ont coopéré à la réalisation de ce rapport et particulièrement la participation de Germain Lamonde, fondateur et président d’EXFO, à ce comité. Contributeur de la première heure de l’IDP, l’influence de M. Lamonde se ressent dans les recommandations exposées par le Conseil de l’innovation, plus près de la réalité des entreprises québécoises.
Les recommandations formulées sont les suivantes :
- Rediriger une partie des incitatifs financiers des activités de recherche fondamentale vers les activités de recherche appliquée, le développement expérimental et la commercialisation des innovations;
- Renforcer les compétences des dirigeants en matière de développement, de gestion et de commercialisation des innovations;
- Inciter les entreprises à accélérer la mise à niveau de leurs infrastructures numériques et technologiques;
- Prioriser des secteurs et des niches stratégiques pour le Québec;
- Miser sur les entreprises à fort potentiel répondant à des critères stricts de croissance et d’exportation, en leur offrant des services à haute valeur ajoutée;
- Développer des « laboratoires d’innovation » dans des secteurs stratégiques;
- Renforcer les capacités de l’écosystème de fonds de capital de risque en développant la relève et une masse critique de gestionnaires d’expérience;
- Stimuler les chaînes de valeur et renforcer l’adoption d’innovations locales pour développer le tissu industriel québécois;
- Mettre en place de nouveaux outils pour augmenter la capacité du gouvernement de soutenir le cycle d’investissement en innovation au Québec;
- S’assurer que le gouvernement renforce la cohésion entre les initiatives de soutien à l’innovation des différents ministères;
- Réduire la lourdeur administrative et les délais et centraliser l’accès aux différents programmes;
- Publier les données d’octroi de financement pour renforcer la synergie entre les ministères, l’intelligence d’affaires, la capacité d’analyse et l’évaluation des impacts;
- Réviser les indicateurs de performance des acteurs de l’écosystème financés par le MEIE.
Des recommandations que nous appuyons
L’IDP soutient la majorité des recommandations formulées par le Conseil de l’innovation et particulièrement les trois premières. En effet, la réduction de la lourdeur administrative et la stimulation des chaînes de valeur pour l’adoption d’innovations d’ici ont souvent fait l’objet de commentaires et de discussions avec nos membres et clients. Comme un des objectifs est de revoir l’offre de financement à coût nul (en conservant l’enveloppe globale de soutien actuelle), des choix difficiles seront à faire mais les trois premières recommandations sont très à propos par rapport à la vision du marché et à nos observations dans les PME.
D’abord, soutenir davantage les entreprises dans le « D » de la R-D permettra d’appuyer ces dernières en respectant une distribution plus naturelle et réaliste des efforts déployés dans les entreprises quant aux différents types d’innovation (incrémentale, adjacente et radicale). Bien que l’innovation radicale soit attrayante et porteuse pour l’avenir, elle est aussi la plus risquée et porte son lot d’enjeux (voir article « Le côté sombre de l’innovation disruptive »). Les innovations incrémentales et adjacentes sont généralement plus accessibles et efficaces comme moyens pour les entreprises de mieux répondre aux besoins de leurs marchés tout en maintenant ou en accélérant leur compétitivité et croissance. C’est bien souvent à partir des bénéfices monétaires des innovations incrémentales et adjacentes que l’entreprise va s’engager par la suite dans des innovations plus radicales.
Par ailleurs, en soutenant le développement expérimental et la commercialisation des innovations, on encourage les entreprises à « prendre goût » à innover, à en faire plus régulièrement et surtout à se structurer pour augmenter la productivité de leurs activités d’innovation. Les entreprises structurées en gestion de l’innovation sont plus susceptibles de générer de la croissance et de faire des exportations (recommandation 5). Cela permet également de transmettre le message que l’innovation, ce n’est pas qu’une chose technologique. Et l’effort de commercialisation qui doit être déployé dès le début d’un projet d’innovation de produits et services est tout aussi nécessaire au succès commercial que la performance de la solution en soi! Nous espérons également que cela permettra aux entreprises de mieux sélectionner les projets les plus porteurs pour réaliser leur stratégie et mieux équilibrer les efforts qui seront consacrés à l’innovation entre le court et long terme!
Capacité et compétences en gestion de l’innovation
Probablement un des éléments les plus sous-estimés ces dernières années, la connaissance et l’appétit pour la gestion de l’innovation des dirigeants est assurément un chantier inévitable pour garantir les retombées escomptées; nous sommes heureux de retrouver cette deuxième recommandation dans le rapport. Cœur de métier et engagement de l’IDP depuis bientôt 30 ans, la formation et l’accompagnement des gestionnaires de l’innovation (dirigeants d’entreprise et cadres intermédiaires) est essentielle au succès en innovation.
Cette recommandation renforce la pertinence et la mission de l’IDP d’aider les entreprises dans la mise en place de pratiques performantes en gestion de l’innovation de produits et services en entreprise. L’IDP a été l’initiateur de plusieurs formations dédiées aux acteurs de l’innovation : les efforts en écoconception débutés en 2005 et son programme de formation « Écoconception : passez à l’action! » ; la toute première et unique formation francophone pour les gestionnaires de produits « Gestionnaire de produits, un rôle stratégique en entreprise » ; la première certification québécoise en « Leader stratégique de l’expérience produit » ; son programme « Structurer l’innovation : pour une mise en œuvre efficace » et ses multiples réseaux et ateliers de perfectionnement.
Nous sommes à même de constater l’impact du renforcement des compétences en gestion de l’innovation des dirigeants et cadres sur la capacité directe de l’entreprise à innover avec succès et régularité! Cette recommandation permet également de confirmer que l’innovation concerne l’entreprise dans son ensemble et n’est pas seulement l’affaire d’un département ou d’un individu. La vision, la culture d’innovation, la stratégie d’innovation ne s’inventent pas et ne peuvent se matérialiser ni survivre sans l’engagement constant de la haute direction de l’entreprise. Reconnaissant toutefois le rôle clé des cadres intermédiaires dans le changement (R-D, Marketing et Opérations), il faut également leur accorder le soutien nécessaire pour renforcer leurs pratiques de gestion de l’Innovation.
En ayant des gens bien informés et formés à gérer l’innovation, nous améliorons de ce fait même la capacité à générer des retombées positives du financement accordé aux entreprises en matière de R-D. Et le Québec possède un super bassin d’entreprises-modèles, pas toutes grosses ou technologiques, mais matures et bien structurées en matière de gestion de l’innovation et qui peuvent en inspirer d’autres à faire de même.
Éviter le fossé technologique
Pour certaines entreprises, la dette technologique commence rapidement à s’accumuler et un écart sera fort possiblement visible sous peu par rapport aux entreprises ayant engagé le travail dans la mise à jour de leurs infrastructures numériques et technologiques.
Les technologies permettent de développer les solutions et innovations d’aujourd’hui mais surtout celles de demain. Et l’exploitation de ces nouvelles possibilités ne se fera pas sans des humains compétents et qualifiés. Notre hypothèse est que l’adoption des innovations et des nouvelles technologies est présentement ralentie par le manque de compétences humaines et techniques au sein des entreprises. Ce qui renforce, selon nous, l’effort à consacrer à la formation des dirigeants et responsables de l’innovation à la deuxième recommandation formulée par le comité.
Et il en va de même pour la stimulation de la collaboration interentreprise en innovation au Québec; de bons gestionnaires et des entreprises organisées sont plus susceptibles de générer ces collaborations. Pour plusieurs PME, nous croyons que le pont au-dessus du fossé technologique passera par cette collaboration entre organisations.
L’éternel oubli !
Nous sommes maintenant à l’aube de la nouvelle révolution industrielle : l’industrie 5.0 (voir article « L’industrie 5.0 : intégrer l’humain et l’environnement » ). Les innovations du futur doivent non seulement être profitables pour l’entreprise et créer de la valeur pour son client/marché mais elles doivent également être « bonnes » pour l’environnement et la société. Malheureusement, aucune recommandation ou mention spécifique en ce qui a trait aux projets d’innovation durable ou sociale n’apparait dans le rapport. On répète encore le même schéma comme quoi les innovations environnementales et sociales sont de deuxième ordre, financées avec « des fonds de tiroirs ».
Nous avons maintenant une excellente opportunité d’agir et d’intégrer les volets durable et responsable aux potentielles nouvelles règles ou approches de financement des innovations. La croissance ne doit plus être la seule finalité et mesure de pertinence des innovations. Pourquoi ne pas sortir la carotte et bonifier les investissements dans des projets d’innovation bons économiquement et qui génèrent aussi des bénéfices environnementaux et sociétaux? Ou encore mieux, sortir le bâton et imposer des critères de durabilité et de responsabilité dans l’évaluation de tous les projets d’innovation pour obtenir un financement! Le Québec a une belle opportunité d’assumer un leadership nord-américain avec une telle approche, de valoriser les innovations qui auront un réel impact positif à long terme et de générer possiblement de nouveaux secteurs ou niches stratégiques!
Nous suggérons donc l’ajout d’une 14ième recommandation où tous les projets d’innovation devraient être évalués sur leur pertinence pour l’entreprise, son marché, la planète et la société. En somme, la nécessité de repenser l’approche au financement des innovations est réelle pour stimuler l’innovation et créer de la valeur pour la province. Comme il est avancé dans ce rapport, le tapis pourrait nous glisser sous les pieds si nous n’agissons pas plus rapidement et avec intensité en matière d’innovation. Le travail du Comité du Conseil de l’innovation est très porteur et nous espérons que le gouvernement en place tiendra compte des recommandations formulées (plus la nôtre) dans la refonte de l’offre de financement et de soutien aux innovations.
Nous constatons régulièrement l’appétit des entreprises à vouloir mieux organiser la gestion de l’innovation pour mieux appuyer leur stratégie d’affaires. Et l’IDP sera toujours présent et continuera de soutenir les entreprises avec ferveur et conviction dans leur démarche d’innovation de produits et services.
Benoit Poulin, ing., est directeur général de l’IDP depuis 2019. Il cumule près de 20 ans d’expérience de terrain en innovation. Au cours de sa carrière, il a occupé les postes de chargé de projets, analyste d’affaires, responsable de la R-D, directeur de la gestion de produits, et de conseiller en innovation et développement de produits à l’IDP de 2010 à 2015. Il est animé par un désir constant d’aider les entreprises à croitre et à rayonner dans leur milieu.
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